Hôpital de Jendouba – Mort d’un jeune résident : Quand l’indiscipline devient la règle, quand l’Etat devient trop faible

Badreddine Aloui, jeune résident meurt à la fleur de l’âge à l’hôpital de Jendouba dans une cage d’ascenseur. On était censé le réparer vendredi après que l’on a appelé jeudi au soir le fournisseur pour l’informer de la panne. Les responsables de l’hôpital furent priés de couper l’électricité de l’ascenseur et de le bloquer dans l’attente de l’équipe de dépannage. Ce ne fut pas fait. A qui incombe la responsabilité de ce drame ? Au technicien qui n’a pas procédé au blocage de l’ascenseur ? A la direction qui a manqué de vigilance ? Une enquête sera certainement ouverte et nous saurons la vérité. Mais combien de morts, combien d’enquêtes avant que le “drame tunisien“ ne prenne fin ?

Une mort de plus ou de moins, qui s’en soucie ? Le peuple tunisien s’indigne, crache sa colère sur les réseaux sociaux, pleure un pays perdu et puis reprend son traintrain quotidien dans l’attente d’un nouveau drame, d’une nouvelle mort.

Le technicien défaillant de l’hôpital de Jendouba a été arrêté, mais est-ce à dire que c’est fini ? Que pareils drames ne se reproduiront plus ? Le laisser aller et l’impunité ont mis le pays à genoux tout comme l’incapacité, l’incompétence, l’opportunisme et la faiblesse des gouvernements successifs. Combien de fois avons-nous entendu des personnels dans des hôpitaux et ailleurs crier haut et fort qu’ils n’ont peur de personne, l’Etat compris.

Qu’est-ce qui leur donne cette arrogance ? Les syndicats ou la faiblesse de l’Etat ?

Aujourd’hui, l’indiscipline est la règle et l’Etat est trop faible 

Commentaire de Pr Mohamed Douagi à propos du jeune résident : « Allah yarhamek jeune soldat en blouse blanche. بدرالدين العلوي Nous médecins، on s’est “habitués“ à mourir du Covid-19، à attraper une infection، à être tabassé par les citoyens، à être poursuivi en justice et même emprisonnés. Voilà qu’un jeune résident tombe d’un ascenseur dans un hôpital à Jendouba et en décède. Le minimum, c’est de déserter les hôpitaux pour au moins trois semaines. C’est le SMIG de contestation en 2020».

Nos bébés morts à cause d’une infection contractée dans le service de néonatologie, nos jeunes morts sur la route à cause de l’absence de barrières de sécurité et d’un bus mal entretenu, des inondations qui emportent tout jusqu’à des jeunes femmes dans des égouts, des infrastructures routières délabrées, des jardins publics détériorés, des canalisations cassées, des hôpitaux dans des états piteux, les exemples sont légion dans une Tunisie qui tombe en ruine.

Le manque d’entretien de nos infrastructures tue

Et face à cela, que font les pouvoirs publics ? Ils crient haut et fort leur indignation et continuent comme si de rien n’était. Pour la dernière victime de la nonchalance, le chef du gouvernement a décrété des obsèques nationales. Et après ? Est-ce si difficile de s’attaquer à la racine du mal ? Est-ce si difficile de mettre fin aux comportements velléitaires de certains responsables et de milliers d’employés ? Est-ce si difficile de décréter que le titre II du budget de l’Etat ne doit pas être tout juste bon à satisfaire aux revendications salariales ? Que les investissements et l’entretien sauvent des vies et qu’à ce titre rien ne justifie qu’on les dilapide pour des mauvaises raisons ?

Cela fait dix ans que les gouvernements successifs caressent les syndicats dans le sens du poil, répondant à toutes leurs revendications salariales, se soumettent aux caprices de certains agents de la fonction publique -indisciplinés et paresseux- évitant de les sanctionner.

Cela fait 10 ans que nos infrastructures tombent en ruines, hôpitaux, routes, espaces verts, parcs nationaux, canalisations, égouts, installations vitales pour des entreprises publiques telles que la STEG et la SONEDE et on ne fait rien pour les sauver. Le budget de maintenance est appliqué au 1/3, et encore.

Les contrats avec les entreprises de maintenance sont rompus pour cause d’incapacité de l’Etat à payer ses fournisseurs ou à débloquer les fonds pour les payer. Le tissu des petites entreprises qui gravitaient autour de grandes institutions publiques comme l’ONAS, la STEG, la SONEDE s’est rétréci comme peau de chagrin. L’absence d’entretien de nos infrastructures ne dérange plus personne. Les équipements, les pierres ne crient pas leur indignation et ne menacent pas la stabilité sociale ou gouvernementale. Mais quand on ne s’en occupe pas, on en meurt et là, la menace devient sérieuse pour la stabilité sociale et politique.

Le commentaire de Dr Rafik Boujdaria, chef du service des urgences de l’hôpital Abderrahman Mami, résume tout : «Quelle honte ! Quel malheur ! Quelle malédiction nous est tombée dessus. Je ne sais pas si je dois seulement pleurer ce jeune médecin, la santé publique, ou la Tunisie.  C’est l’ère de la décadence, une ère où les valeurs disparaissent, où l’État se désintègre, où le secteur public est désarticulé et où l’ascenseur d’un l’hôpital public tombe tuant un jeune médecin … Badreddine a échappé au coronavirus pour mourir de l’indifférence, de la mauvaise gestion, du manque d’expérience et de l’incompétence ! Badreddine est la victime de la chute libre de l’Etat tunisien ! ».

Amel Belhadj Ali