Tunisie : Nabil Karoui, le candidat qui met à mal le système

La candidature de l’homme d’affaires Nabil Karoui à l’élection présidentielle anticipée divise la rue tunisienne et met à mal un système à l’agonie.

Né à Bizerte en 1963 dans une famille modeste, Nabil Karoui est le fils d’un père cadre dans une entreprise privée et d’une mère au foyer d’origine algérienne.

L’habitus clivé de Nabil Karoui fera de lui un élève peu enclin aux études et aux normes scolaires, mais qui en même temps nourrit le rêve de devenir millionnaire.

Après avoir raté son bac à plusieurs reprises, il s’exile à Marseille et entame des études de commerce.

Dans la ville de ” la Bonne Mère “, l’ainé des Karoui forge sa vocation pour la communication et les affaires à coup de porte à porte et au gré des rencontres.

En 1992, il est nommé directeur commercial de la chaine de télévision Canal+ Horizon à Tunis suite à la création de la filiale Afrique-Moyen Orient du groupe Canal+.

Mais Nabil Karoui voit plus grand et part à la conquête du monde avec son frangin et complice de toujours Ghazi Karoui.

S’inspirant de la trajectoire fulgurante des frères Maurice Saatchi et Charles Saatchi, lesquels, ont créé l’agence de publicité Saatchi & Saatchi, les Karoui vont lancer en 1996 une agence de communication qui porte leur nom : Karoui & Karoui.

Les Karoui touchent du bois avec leur business.

Karoui & Karoui arrive à percer dans les marchés du Grand Maghreb mais aussi dans certaines capitales du monde arabe et du continent africain.

Nabil Karoui surfe sur la vague de son succes story mais ne compte pas s’arrêter là, son goût prononcé pour les affaires et sa soif de reconnaissance nourrissent ostensiblement ses ambitions.

En 2007, il crée la chaine de télévision ” Nessma Tv ” au sein d’un paysage médiatique monopolisé et verrouillé par l’Etat, moyennant allégeance au régime en place.

La chaine ” Nessma TV ” se spécialise essentiellement dans l’entertainment, un des marqueurs de la culture de masse.

Après la révolution, Nabil Karoui s’invite sur le devant de la scène politique.

Sa chaîne de télévision va se transformer et servir d’appareil idéologique pour créer une ” ligne de masse ” contre le gouvernement de la Troika.

L’homme d’affaires de 56 ans va se charger dans la foulée de ” fabriquer ” la légitimité cathodique de Beji Caïd Essebsi à l’heure où la Tunisie cherchait la figure du ” Patria Potestas ” pour assurer la transition démocratique.

Toujours dans les bons coups grâce à son flair, Nabil Karoui va fonder avec d’autres personnalités de premier plan le parti Nidaa Tounes.

La nouvelle formation politique créée sur mesure pour s’opposer à l’islam politique et à la domination d’Ennahdha, raflera les trois présidences après le double scrutin législatif et présidentiel de 2014 : Présidence de la République, Assemblée des représentants du peuple et gouvernement.

Lésé par l’ingratitude et les querelles intestines des Nidaistes, Karoui savait pertinemment que Nidaa Tounes finira par imploser. Il démissionne de la formation politique de Caid Essebssi sans pour autant s’éloigner des cercles du pouvoir.

En 2016, après la mort de son fils Khalil, Nabil Karoui lance l’association ” Khalil Tounes ” destinée à venir en aide un tant soit peu aux délaissés pour compte de l’Etat tunisien. En effet, dans la Tunisie oubliée, celle des marges, le lumpenprolétariat tunisien, – renvoyé dans l’ignoble-, n’arrive plus à prendre corps à corps le réel pour survivre à la précarité sociale.

Nabil Karoui va s’engouffrer dans cette brèche laissé par le système pour exploiter jusqu’au bout la fracture sociale tunisienne à des fins politiques.

Les membres de cette structure caritative récoltent des dons puis sillonnent les bas fonds de la Tunisie pour distribuer entre autres nourriture, meuble, électroménager, médicament à des populations en détresse.

A grand renfort de tapage médiatique par la chaine, Nessma TV, les activités caritatives réussissent à séduire les plus démunis ainsi qu’une audience fidèle dans les foyers tunisiens.

La Tunisie d’en bas croit trouver son ” messie ” en la personne de Nabil Karoui, a contrario les détracteurs de l’homme d’affaires, alarmés qu’ils sont par sa montée en puissance, y voient un mafieux dont le désir menace sérieusement l’Etat-système.

Nabil Karoui n’est plus un néophyte dans la politique, désormais il va rouler pour lui-même et pour les vaincus du système sous l’étendard de la lutte contre la pauvreté.

Pour se faire, il met au point une machine de guerre partisane “Au cœur de la Tunisie” qui devrait lui permettre de conquérir le pouvoir. Nabil Karoui annonce qu’il sera candidat à la présidentielle anticipée de 2019.

Le dossier sur des suspicions ” d’évasion fiscale et de blanchiment d’argent ” déposé depuis 2016 par l’ONG anticorruption et branche tunisienne de Transparency International, ” I-Watch “, contre les deux frères Karoui, va sortir des oubliettes à la veille de la campagne présidentielle pour justifier juridiquement la mise en détention préventive de Nabil Karoui, le 23 aout dernier.

Depuis son incarcération à la prison Mornaguia l’homme d’affaires n’a de cesse de dénoncer une temporalité judiciaire aux ordres de l’exécutif.

” La prison ne nous arrêtera pas ” l’affiche narguant le système, – placardée le temps d’un soir sur les grands panneaux publicitaires de l’autoroute Tunis-Marsa -, sonne comme une prémonition.

L’arrestation de Karoui n’a pas entamé sa popularité, mais paradoxalement elle a servi à lui coller l’étiquette d’un candidat “anti-système”.