Quelque 119 députés sortants se sont de nouveau présentés aux élections législatives, qui se tiendront, dimanche prochain, 6 octobre, en dépit d’un passage décevant, de faibles résultats et même des soupçons de corruption qui planent sur certains d’entre eux.
Parmi les députés sortants qui briguent un second mandat, figurent 32 députés du parti Ennahdha et 10 députés (toujours de Nidaa Tounes), deux formations de la coalition au pouvoir après les élections de 2014, avant la dislocation du parti Nida et la dispersion de ses députés.
En parallèle, 17 députés ont quitté le parlement, au début du mandat écoulé, pour occuper des postes de ministres au sein des gouvernements successifs, se présentent aujourd’hui de nouveau aux élections législatives.
C’est le cas de Zied Laadhari qui a occupé plusieurs postes, dont le dernier est celui de ministre de l’Investissement et de la Coopération internationale et Saida Lounissi qui a été nommée ministre de la Formation professionnelle et de l’emploi. Ces deux députés d’Ennahdha se présentent de nouveau dans les circonscriptions respectives de Sousse et en France.
Il s’agit également, de l’ex-parlementaire Mehdi Ben Gharbia qui a été ministre auprès du Chef du Gouvernement, chargé des relations avec les Instances constitutionnelles, la société civile et les droits de l’Homme et qui se porte, de nouveau candidat aux élections législatives au non du parti de l’actuel chef de Gouvernement, “Vive la Tunisie”, à Bizerte.
Ni son flagrant “échec” quant à plusieurs lois de grande importance (loi sur la HAICA et sur la liberté de la presse), ni son accusation de corruption et de favoritisme par l’ONG “I Watch”, n’ont dissuadé Ben Gharbia à se présenter de nouveau pour un autre mandat au parlement.
Bien qu’ils brillent par leur absence, des députés briguent de nouveaux mandats
L’ONG tunisienne Al Bawsala qui observe les travaux des institutions publiques législatives et exécutives aux niveaux centraux et locaux estime que l’absentéisme est l’un des dilemmes de la précédente législature.
Son impact a été “catastrophique sur l’image” du parlement tunisien.
Le taux d’absentéisme a été estimé entre 72 et 87%.
Ce taux ne dépasse pas 67% au sein des commissions permanentes qui se chargent de l’étude des lois et des auditions de spécialistes et experts avant de les soumettre aux plénières.
Parmi les 119 candidats qui se portent de nouveaux candidats aux législatives, certains n’ont été présents au sein du parlement qu’à 25% des plénières et 6 % au sein des commissions permanentes. Il s’agit entre autres, de l’homme d’affaires et ancien président de l’Etoile sportive du Sahel, Ridha Charfeddine.
Charfeddine, qui a été élu du parti Nidaa Tounes ( 2014-2019), se présente de nouveau aux législatives au nom de “Qalb Tounes” , parti fondé il y’a 6 mois par l’homme d’affaires et actionnaire de la chaîne de télévision Nessma, Nabil Karoui.
Accusé d’évasion fiscale et de blanchiment d’argent, Karoui est actuellement, placé en détention tout en étant en lice pour le 2ème tour des présidentielles.
Le nouveau parti a également séduit l’ex-président du Bloc parlementaire de Nidaa Tounes à l’Assemblée des Représentants du Peuple, Soufien Toubel, dont le taux de présence au parlement n’a pas dépassé 40% pour les travaux des commissions permanentes et 86% pour les plénières.
Toubel, qui est aussi soupçonné de corruption, s’est de nouveau présenté aux élections législatives pour la région de Gafsa.
Tourisme parlementaire !
Les 32 députés d’Ennahdha, groupe le plus représenté à l’ARP, qui se présentent de nouveaux, comprend les principaux dirigeants du parti, à l’instar de Samir Dilou à Bizerte, Yamina Zoghlami à Tunis1, Noureddine Bhiri à Ben Arous, Sahbi Attig à l’Ariana et Ameur Laarayed à Medenine.
Un député d’Ennahdha à Siliana se présente également pour la deuxième à la même région Siliana, mais cette fois en une liste indépendante baptisée “Iklaâ” ce qui signifie “décollage” en français.
Le changement de groupement parlementaire et de parti constitue un reniement des engagements et des promesses. Pourtant, 83 députés parmi 241 s’adonnent au tourisme parlementaire. Entre ces “touristes parlementaires” se trouve le député sortant Ali Belakhoua et Dorra Yacoubi, qui ont changé d’appartenance et de groupe parlementaire respectivement 4 et fois.
Ces députés, élus au nom de l’UPL, dont les Tunisiens l’ont dénomé avec ironie “Tawa” (Maintenant) et qui a été crée par l’homme d’affaire en fuite en France, Slim Riahi, se présentent de nouveau au nom du parti “Amal” (espoir) dans les circonscriptions de Bizerte et Jendouba.
Parmi les élus sortant qui s’adonnent toujours au tourisme parlementaire sans s’acquitter de leur devoir au sein de l’Assemblée, Ridha Jaidane, élu sur la liste “El Walaa LelWatan”(Loyauté à la patrie) en France, se brigue un autre mandat dans le même pays au nom de “3aich Tounsi, malgré un taux de présence de 42% au plénière et 26% dans les commissions permanentes.
est l’un des problèmes de la vie politique en Tunisie.
Selon l’universitaire et analyste politique, Ferid Laalibi, le tourisme parlementaire ne porte pas seulement un grand préjudice au parlement, mais également à l’image des députés auprès du peuple.
Il a évoqué, par ailleurs, une “démocratie factice basée sur la vente et l’achat des députés “. ” La corruption ne touche pas seulement l’économie, mais aussi la politique devenue, un commerce rentable” a-t-il estimé.
Echec politique et économique
L’organisation Al Bawsala qui assure le suivi des travaux de l’ARP trace un faible bilan du mandat parlementaire 2014-2019. Sur les 72 propositions législatives faites par les députés en ce qui concerne les libertés individuelles, l’organisation de l’Etat d’urgence, les sondages d’opinion, l’ARP n’a adopté que 9 propositions durant 5 ans.
Al Bawsala évoque aussi l’échec cuisant qui a marqué l’activité de l’ARP durant son mandat, notamment, en ce qui concerne la mise en place des instances constitutionnelles à l’instar de la Cour constitutionnelle, malgré l’importance du rôle qu’elle devrait jouer dans le processus de la transition démocratique.
A l’exception de l’ISIE, l’ARP a échoué à élire les membres des autres instances constitutionnelles, à savoir l’Instance des droits de l’homme, l’Instance permanente de la communication audiovisuelle, l’Instance du développement durable et des droits des générations futures, l’Instance de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption.
L’ARP a adopté durant son mandat, 340 projets de loi dont près de la moitié (43%) sont relatifs à des crédits ou à des garanties de crédits.
Contre toute espérance, le parlement sortant et ses principaux blocs se sont opposés aux principales réformes économiques visant à conférer plus de transparence aux activités financières.
Plusieurs députés se sont en effet, opposés au projet de loi relatif à la levée du secret professionnel et à celui relatif à la levée du secret bancaire qui n’a été adopté que dans la loi de Finances 2019.
Les députés d’Ennahdha et Nida Tounes ont aussi rejeté l’augmentation des taxes sur les grandes surfaces de 25 à 35%, alors qu’ils ont approuvé la loi sur la réconciliation administrative, sous prétexte qu’elle favorisera l’amélioration du climat des affaires.
Cette course vers un second mandat au parlement, est motivée selon des observateurs, par la volonté des députés candidats d’avoir une immunité parlementaire qui leur épargnera d’éventuelles poursuites judiciaires.
Les demandes de levée de l’immunité parlementaire sont confrontées à un différend procédural entre le ministère de la justice et le parlement concernant l’interprétation des articles de la constitution relatifs à cette question.
Les nouvelles technologies pourraient, désormais, aider à évaluer le travail des députés au cours du dernier mandat.
Dans cette optique, une application “Tunisia Leadership Index ” a été lancé par le chef d’entreprise leadership house, Lotfi Saibi.
Cette application, téléchargeable sur les téléphones portables, est destinée aux citoyens tunisiens pour leur intégration dans la vie politique et dans le domaine de la transition démocratique. Elle permet au citoyen de comparer les députés, d’évaluer la qualité de leur travail au cours du dernier mandat et de comparer leurs positions par rapport à de nombreux sujets.
Traduction : Imen Gharb, Mariem Khadhraoui et Nedra Boukesra