Sotigui Kouyaté, hommage à l’œuvre du Griot du cinéma africain

Sotigui Kouyaté “est avant tout une voix, parce qu’étant un griot, il savait ce que veut dire la parole”, a indiqué le Sénégalais Baba Diop, critique de cinéma, évoquant le souvenir d’un artiste dont “l’humanisme se dégageait des personnages qu’il jouait” tout en se rappelant de ses paroles comme “il suffit d’être juste et savoir insuffler le personnage à jouer, toute son humanité”. “Chose qu’il a vraisemblablement faite dans tous ses films comme au théâtre “, continue Baba Diop qui revient sur le parcours de Sotigui Kouyaté et ses débuts dans “le théâtre kotéba, une forme de théâtre humoristique au Mali qui critique des faits de société en utilisant des masques”.

“Sagesse, charisme et humilité” ont fait la grandeur de cet homme, explique Baba Diop faisant l’éloge de “la musicalité de sa voix, cette douceur qu’il avait lorsqu’il parlait, son humanité, son caractère et l’empathie qui se dégageait dans ses différents rôles”, même s’il présentait “n’être que l’enveloppe de la sagesse”.

Plus qu’un acteur d’exception, Sotigui Kouyaté a été et restera une icône du théâtre et du cinéma africain qui a pu s’imposer grâce à son talent et ses qualités morales que beaucoup qui l’ont connu dans la vie sont venus en témoigner lors de la cérémonie d’hommage qui lui est a été rendu par la Cinémathèque tunisienne dans un cycle de projection entamé, mardi soir à la salle Tahar Cheriaa, au siège du Centre du cinéma et de l’Image (CNCI) à la Cité de la Culture.

Cet hommage comprend une série de projections qui ravive l’oeuvre cinématographique de cet acteur exceptionnel et grand habitué des manifestations cinématographiques tunisiennes, dont notamment les Journées Cinématographiques de Carthage, les Journées Théâtrales de Carthage et les Rencontres Cinématographiques de Hergla “, a rappelé Mohamed Challouf conseiller artistique à la Cinémathèque tunisienne.

Il s’agit d’une rétrospective réalisée avec le soutien de la Cinémathèque africaine qui oeuvre à la diffusion du cinéma de patrimoine et contemporain avec près de six mille projections par ans à travers le monde.

Outre le critique Baba Diop, sa fille, Yagaré, et son fils, Mabô, également acteur, étaient présents à la cérémonie qui se veut un hommage appuyé à la mémoire de l’acteur qui a tourné son dernier film en Tunisie “Errance”, court-métrage de Nouri Bouzid.

Jusqu’avant sa mort, l’acteur a également joué dans le film “London River” de l’Algérien Rachid Bouchareb, un rôle qui lui a valu d’être récompensé de l’Ours d’argent, prix du meilleur acteur à la 59ème édition de la Berlinale, Festival international du film de Berlin 2009.

Les ambassadeurs du Burkina Faso et de France, des étudiants et stagiaires burkinabés en Tunisie, ainsi que des représentants de l’Aisac (association des étudiants et stagiaires africains en Tunisie), ont été également présents à cette cérémonie au cours de laquelle il y a eu la projection de deux films dans lesquels jouait Sotigui Kouyaté et qui ont ouvert ce cycle de projections qui se poursuivra jusqu’au 1er avril.

Faisant partie du film “L’Afrique vue par…”, une œuvre collective de dix courts-métrages de réalisateurs africains, “Errance” est écrit et réalisé par le Tunisien Nouri Bouzid. Dans ce court métrage de 13 minutes, produit en 2010 entre la Tunisie et l’Algérie, Slah Msaddek et la petite Zeïneb Bouzid font une apparition aux côtés de Sotigui Kouyaté qui joue “Le Griot” dans ce film qui adopte la vision de cet homme sage, errant sur le Continent, qui va à la rencontre de jeunes enfants, essayant de leur faire inculquer la différence entre celui qui sait et celui qui ne sait pas… “Celui qui sait et sait qu’il sait, c’est un penseur, on doit le suivre. Celui qui sait et ne sait pas qu’il sait, c’est un dormeur on doit le réveiller. Celui qui ne sait pas et sait qu’il ne sait pas, c’est un chercheur on doit le guider. Celui qui ne sait pas et ne sait pas qu’il ne sait pas, c’est un danger public on doit le fuir”, leur dit-il.

Dans le second film “London River” de l’Algérien Rachid Bouchareb, Sotigui Kouyaté joue le rôle d’Ousmane qui, au lendemain des attentats de juillet 2005 à Londres, part vers la capitale anglaise à la recherche de son fils, Ali. A Londres, il fera la rencontre d’Elizabeth, une anglaise, elle-même avait perdu le contact avec sa fille qui s’avère être la petite amie d’Ali. Un film sur la coexistence, la solitude de deux êtres et leur douleur partagée à la recherche de leurs enfants, victimes d’un attentat qui avait endeuillé tout Londres, avec ses drapeaux en berne.

Depuis ses débuts au théâtre en 1966, Sotigui Kouyaté a pu grimper les échelons en devenant l’un des acteurs les plus demandés en France où il s’est fait connaitre à partir des années 80. Il a eu de nombreuses collaborations avec le Britannique Peter Brook, un artiste complet, à la fois dramaturge, réalisateur et écrivain, connu notamment pour ses adaptations des oeuvres shakespeariennes.

Guinéen d’origine, malien de naissance et burkinabé d’adoption, Kouyaté est décédé en 2010 à l’âge de 74 ans suite à une insuffisance respiratoire. L’enfant de Bamako (Mali) qui avait vécu dans un village de brousse au Burkina Faso a laissé un grand patrimoine cinématographique qui transmet les valeurs de l’Homme mais aussi de tout le Continent duquel il venait.