“Autres Démons” de Walid Daghsni : Aventure théâtrale dans l’oeuvre de Gabriel Garcia Marquez

Carthagène des Indes de Gabriel Garcia Marquez, dans son oeuvre littéraire “De l’amour et Autres Démons”, n’est-elle pas assimilée à Carthage, en un tableau théâtral dressant l’image d’un pays en malaise chronique? Ou es-ce bien Carthage qui a tendance à se faire une image calquée de “Carthagène des indes”, sur les territoires lointains de l’Amérique du Sud?

De ce livre, chef-d’oeuvre de l’écrivain et journaliste Colombien publié en 1994, s’est inspiré le jeune metteur en scène tunisien Walid Daghsni dans sa nouvelle pièce “Autres Démons”, dans un essai d’adaptation pour le théâtre qui frôle les limites du réel et de l’imaginaire.

Il s’attaque, non seulement à un chef-d’oeuvre de la littérature moderne mais aussi au référentiel d’un monstre du réalisme magique de la littérature latino américaine et prix Nobel de la littérature (1982), le Colombien Gabriel Garcia Marquez.

Présentée en avant-première, cette nouvelle création théâtrale produite par Clandestino Prod, a été interprétée, lundi soir à l’espace El Teatro, devant le public des Journées Théâtrales de Carthage (JTC 2017).

Une adaptation revisitée qui fonce dans une symbolique du monde dans lequel nous vivons, fait de mensonges, d’injustice et de haine. L’humanité est mise à nu avec ses faiblesses, ses inégalités, ses croyances et ses rituels flirtant avec l’au delà et les forces surnaturelles.

L’univers fabuleux et rebelle du célèbre écrivain colombien pèse de sa grandeur dans cette pièce qui vient s’inscrire dans une ligne d’autres adaptations pour le théâtre et le cinéma de ce chef-d’oeuvre de la littérature moderne.

Toute la démence habite la jeune Sierva Maria de Todos, mordue par un chien et dont le caractère endiablé et la possession présumée ont été reproduits par l’actrice (Amanue Belhaj). La jeune fille à la chevelure longue d’une vingtaine de mètres ensorcelle attire la convoitise des guérisseurs religieux, et du jeune journaliste qui en est tombé amoureux.

Rencontré à l’issu du spectacle, le metteur en scène et scénariste a fait référence au “travail d’improvisation” accompli en compagnie des acteurs -Amanie Belaaj, Oussama Kechikar, Mounir Laamari et Neji Kanaouati- qui ont, au fil des répétitions, enrichi le texte et rajouté à chaque fois de leur touche”.

Cette cinquième pièce à l’actif de Daghsni, a été réalisée après “plus de cinq mois de travail” entre lui et son équipe d’acteurs, qui “se sont beaucoup influencés par l’œuvre originale”.

Revenant sur le choix des costumes, il estime avoir opté pour une sélection “à tendance mythique qui ne renvoie nécessairement pas à une époque bien précise mais qui en revanche traduit des idées”. Il s’identifie dans “un théâtre expérimental” qui, à son avis, ne se réfère pas à “une ère quelconque, aussi bien au niveau des costumes qu’à celui du discours”.

La pièce est un petit peu inspirée de l’oeuvre originale de Gabriel Garcia Marquez, de laquelle il dit avoir “essayé de garder l’âme originale à travers cette adaptation théâtrale”.

Qu’est ce qui change par rapport à l’oeuvre de Garcia? “Plusieurs détails qui intéressait l’auteur ont été écartés par le metteur en scène, ne voulant garder que “ce conflit entre l’institution religieuse et l’institution scientifique, entre le physique et le métaphysique”.

Adoptant une toute autre approche, il est parti du récit initial de Garcia, reproduisant l’histoire de cette jeune femme atteinte de la rage, après avoir été mordue par un chien. “La démence est un conflit qui est aussi représentée dans l’histoire de la jeune fille, symbole de la femme et de tout ce qui est féminin qui demeure, à son avis, le point commun de tous les conflits entre humains dans ce monde”.

Loin d’être une oeuvre “reproduisant la réalité tunisienne”, il estime avoir donné une approche “plutôt universelle” au point que “n’importe quelle autre personne dans le monde arabe ou occidental puisse en saisir les mécanismes”.

Du point du vue langue, le dialecte tunisien “proche de l’arabe littéraire”, est un choix à travers lequel le metteur en scène cherche à rapprocher, le plus possible, l’image au spectateur arabe en général”, mettant en considération cette particularité du dialecte qui à son avis “demeure le plus grand obstacle entre les tunisiens et certains autres pays arabes”.

L’idée d’une adaptation pour le théâtre est tout à fait intéressante surtout que l’oeuvre de Marquez a déjà était adaptée pour le théâtre et le cinéma. Sauf que la dimension spatiale, le background culturel et les personnages essentiels ont quelque part perdu de leur originalité ou qu’ils sont condamnés à être réduits par une démarche narrative peu développée.

L’empreinte du réel et l’implication hasardeuse des différents protagonistes dans cette pièce, ont donné lieu à un scénario fragmenté, aux nuances parfois brouillées, ce qui ne cache pas une certaine déstabilisation dans l’approche narrative du scénariste notamment au niveau de la langue ni dialectale ni littéraire.

A force de vouloir donner une nouvelle version assez différente de l’oeuvre de Marquez, le metteur en scène a failli se perdre dans son “théâtre expérimental”. Le scénario de la pièce et l’aspect narratif auraient pu sauver l’oeuvre, restée prisonnière de cette large dimension symbolique.

L’universalité de l’oeuvre que réclame le metteur en scène est certes voulue mais pour s’y retrouver, elle est insaisissable, dans une mise en scène minimaliste qui ne cherche pas à émerveiller le spectateur ni par les costumes ni par le décor, mais plutôt par le texte et le jeu des acteurs.