Un syndicaliste sécuritaire incarcéré depuis le 13 juillet 2016 a été condamné à deux ans et huit mois de prison pour diffamation de fonctionnaires.
Le 23 novembre, un tribunal de Tunis a condamné Walid Zarrouk, ancien officier pénitentiaire et membre du Syndicat de la police républicaine à un an de prison pour une interview télévisée au cours de laquelle il avait accusé les autorités tunisiennes d’allégations mensongères à l’encontre de leurs détracteurs. Le même jour, une autre chambre de la même cour a condamné Zarrouk à huit mois pour une citation dans un quotidien, dans laquelle il s’en était pris au ministre de l’Intérieur. Et le 7 février 2017, un tribunal de Tunis l’a condamné à un an de prison pour des messages Facebook ayant critiqué un juge d’instruction et un porte-parole judiciaire.
«Personne n’est à l’abri des poursuites en vertu de lois tunisiennes trop vagues qui pénalisent la liberté d’expression», a déclaré Amna Guellali, directrice de bureau de Tunis à Human Rights Watch. «Six ans après que les Tunisiens ont mis fin au pouvoir autoritaire de Zine El Abedine Ben Ali, procureurs et tribunaux continuent d’emprisonner des citoyens parce qu’ils exercent leur droit à la liberté d’expression».
Le Parlement tunisien devrait réformer d’urgence toutes les lois prévoyant des peines d’emprisonnement pour des infractions telles que la diffamation et les offenses aux institutions de l’État, a déclaré Human Rights Watch.
Human Rights Watch a examiné le jugement rendu dans la première affaire, dans laquelle le tribunal a jugé que la caractérisation des autorités judiciaires, faite par Zarrouk, de « stupide » constitue une diffamation « parce que l’accusé a délibérément porté atteinte à la réputation de l’institution judiciaire lors d’une émission de télévision à une heure de grande écoute ». Le Tribunal l’a condamné à un an de prison en vertu de l’article 128 du code pénal, qui punit de deux ans d’emprisonnement le fait d’imputer « à un fonctionnaire public des faits illégaux en rapport avec ses fonctions, sans en établir la véracité ».
Dans la deuxième affaire, Zarrouk a été condamné par un tribunal à huit mois de prison en vertu de l’article 128 du code pénal suite à une plainte déposée contre lui par l’ancien ministre de l’Intérieur, Lotfi Ben Jeddou, après qu’il l’a accusé de dissimuler des informations sur la prétendue implication de partis politiques dans des réseaux terroristes,
Dans la troisième affaire, Zarrouk était à l’origine inculpé par l’unité judiciaire antiterroriste. L’acte d’inculpation, examiné par Human Rights Watch, accuse Zarrouk d’avoir posté sur Facebook des messages qui relèveraient de la diffamation et de l’offense au chef de l’unité antiterroriste de la Garde nationale, ainsi qu’au procureur et au juge de l’unité. L’acte d’inculpation a été émis contre Zarrouk en vertu de l’article 78 de la loi antiterroriste de 2015, qui prévoit jusqu’à 12 ans de prison pour quiconque « met la vie […] des personnes concernées par la protection en danger » en vertu de la loi antiterroriste en révélant leur identité. Lors de l’audience en date du 7 février, le juge a rejeté les accusations portées en vertu de la loi antiterroriste, tout en condamnant Zarrouk en vertu de l’article 128 du code pénal, selon son avocat, Abdennacer Aouini.
En 2011, les autorités de transition de la Tunisie ont libéralisé le code de la presse et la loi relative aux médias audiovisuels, en éliminant la plupart des sanctions pénales prévues pour les infractions relatives à la liberté d’expression. Néanmoins, les poursuites et condamnations pour discours non violents se sont poursuivies sur la base d’articles répressifs dans divers codes juridiques que les organes législatifs provisoires de la Tunisie n’ont pas amendés.
Depuis décembre 2011, les autorités ont poursuivi au moins 16 personnes pour des propos jugés diffamatoires envers des individus ou des institutions de l’État, ou « susceptibles de troubler l’ordre public ». Parmi eux, le directeur d’une chaîne de télévision ayant diffusé un film considéré comme diffamatoire de l’islam ; deux athées, pour insultes à l’Islam ; deux sculpteurs, pour des œuvres d’art jugées « nuisibles à l’ordre public » après avoir déclenché la colère de salafistes et de groupes religieux; deux rappeurs, pour une chanson insultant la police; cinq journalistes pour avoir critiqué les fonctionnaires et trois autres personnes – un blogueur, un ancien conseiller du président de la République et un autre dirigeant syndical de la police – pour avoir critiqué l’armée et sa chaîne de commandement.
Zarrouk avait déjà été l’objet de poursuites antérieures. Le 9 septembre 2013, un juge d’instruction a ordonné sa mise en détention pour un statut Facebook critiquant l’instrumentalisation politique des poursuites judiciaires. Il a passé quatre jours en prison avant d’être libéré provisoirement. Zarrouk a été condamné en octobre 2015 à trois mois de prison pour des messages sur Facebook visant un procureur et purgé deux mois de sa peine.
Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies, l’organe international d’experts qui interprète le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, a déclaré que toutes les personnalités publiques sont légitimement soumises à la critique publique et qu’il ne devrait y avoir aucune interdiction de critiquer des institutions publiques. La diffamation doit être traitée comme une infraction civile, et non pénale, et ne jamais être sanctionnée par une peine de prison, a déclaré le Comité.
Le Comité a également déclaré que « dans les circonstances de débat public concernant les personnalités publiques dans le domaine politique et les institutions publiques, la valeur placée par le Pacte sur l’expression sans inhibition est particulièrement élevée ». Ainsi, le simple fait que des formes d’expression soient considérées comme offensantes pour une personnalité publique est insuffisante pour justifier l’imposition de sanctions. En outre, toutes les personnalités publiques, y compris celles qui exercent la plus haute autorité politique, telles que les chefs d’État et de gouvernement, sont légitimement soumises à la critique et à l’opposition politique.
L’appel que Zarrouk a fait de sa première condamnation sera examiné le 22 mars 2017.