Sept personnes ont témoigné jeudi, de leurs histoires, durant la première session des séances d’audition publique des victimes de violations commises entre 1955 et 2013.
Organisées par l’Instance Vérité et Dignité, la première session a été l’occasion de donner la parole à victimes sélectionnées sur la base de 4 critères : le type d’agression, la période historique, le critère géographique et l’approche du genre, selon le membre de l’IVD, Khaled Krichi.
La première partie des auditions a été consacrée aux familles des martyrs de la révolution, tombés à Regueb, Kasserine et Tunis.
Ourida Kaddoussi, mère de la victime Raouf Kaddoussi, a témoigné de la souffrance que subissent les familles des martyrs dans les régions : ” Mon fils n’avait que 27 ans quand il a été abattu après la prière du vendredi, le 9 janvier 2011 alors qu’il voulait sauver son ami tabassé par les policiers. ” a-t-elle témoigné amèrement.
Pour Ourida, aucune réconciliation ne peut être effectuée avant la condamnation des coupables. ” Le carnet de santé qui nous a été donné à l’époque de Moncef Marzouki nous a été retiré après 2 ans. ” a-t-elle regretté.
Pour la mère de feu Sleh Dachraoui, abattu à Kasserine le 08 janvier 2011 par balle à Cité Ennour, la justice n’a pas été rendue : Le bourreau n’a été condamné qu’à 3 ans de prison malgré son inculpation, s’indigne-t-elle. La mère du défunt a indiqué que les agents de sécurité ont, même, empêché les hommes d’enterrer son fils convenablement.
La mère de Anis Farhani, mort le 13 janvier 2011 à Rue de Lyon à Tunis, a revendiqué, pour sa part, de transférer l’affaire de son fils à la justice civile. ” Des témoins ont filmé la scène et le policier qui a tiré sur mon fils, a été condamné à 12 ans de prison mais il n’a passé que 3 ans avant d’être relâché. ” Selon la mère de Anis, qui affirme avoir été privée des ses droits les plus élémentaires en tant que citoyenne tunisienne, aucun des partis politiques ou du gouvernement ne les a soutenus ou tenté de les aider.
La deuxième partie des sessions d’audition a été consacrée à la femme de feu Kamel Matmati. Matmati qui a disparu en 1991 et n’a été déclaré mort qu’en 2016.
Sa femme raconte : Selon les témoins, mon mari est mort, le jour de son arrestation en 1991 des suites de ses blessures après avoir été battu par les agents de police.
Elle a affirmé que son mari a été déclaré disparu et que la vie de toute la famille est devenue infernale depuis ! ” Les agents de police venaient nous demander des nouvelles de mon mari, sans qu’ils nous disent qu’il était mort. J’ai du élever mes enfants toute seule et ce n’est qu’en 2009 que j’ai appris que mon mari était mort depuis le premier jour de son arrestation. Cependant, je n’ai pu extraire les papiers le prouvant qu’en 2016 ” explique-t-elle.
Une troisième partie a été consacrée aux prisonniers politiques.
Sami Brahem, ancien prisonnier politique et chercheur dans le domaine du terrorisme a fait part de sa difficile expérience avec les établissements sécuritaires et pénitentiaires tunisiens.
Selon lui, la société a droit de savoir ce qui s’est vraiment passé et l’histoire doit transcrire tous les dépassements. ” J’étais encore jeune quand on m’a arrêté et accusé de vouloir tuer un policier en exercice. ” a-t-il indiqué
Selon Brahem, la torture au sein du ministère de l’Intérieur est raisonnable si on la compare à la torture que subissent les gens dans les couloirs des services de renseignement. ”
Tout ce que je peux retenir, c’est la torture, morale, sexuelle… en effet, c’est plus facile d’être torturé physiquement que de l’être moralement ” a-t-il regretté Dans des prisons dont les directeurs ont été formés rien que pour diriger les prisonniers politiques, la vie n’était pas facile, souligne Brahem : les prisonniers subissent toute sorte d’harcèlement et de torture inimaginables similaires, même, aux scènes de torture de Abou Gharib.
Emu, Brahem a appelé les agents de police à reconnaitre leurs crimes : ” J’appelle les bourreaux à venir témoigner des parties que je n’ai pas évoquées. Je veux qu’ils nous expliquent pourquoi ils ont fait ça, je suis prêt à les pardonner. Je veux juste la vérité. ” a lancé Brahem désespérément.
Selon Brahem, l’objectif était détruire les prisonniers, de faire d’eux des personnes malades mentalement et de les empêcher d’avoir des enfants.
Le dernier témoin était Gilbert Naccache, l’écrivain tunisien du célèbre livre Cristal. Ce dernier a été arrêté et torturé pendant deux jours successifs au sein du ministère de l’Intérieur. Gilbert, qui a travaillé comme ingénieur au sein du ministère de l’Agriculture, a été accusé d’atteinte à la sécurité nationale et de constitution d’une association non autorisée.
Gilbert a été empêché de quitter le territoire tunisien et a vécu depuis sa libération en 1979, sous le control administratif et sécuritaire des autorités tunisiennes. Il a été arrêté une autre fois en 1972 pour subir les mêmes exactions.
Rappelons que l’objectif de ces sessions était d’informer le public large sur les types de violations subies par les victimes, leur contexte historique et la nature de la violation.
Les auditions concernent les violations commises entre 1955 et 2013. Une période que l’IVD a divisé sur 18 cycles correspondant aux crises et tensions qu’a connues le pays.