Trente-cinq ans après sa fondation, le mouvement Ennahdha envisage de séparer l’action politique de la prédication religieuse, à l’occasion de son dixième congrès, prévu du 20 au 22 avril.
Dans sa déclaration constitutive du 6 mai 1981, le parti qui s’appelait à l’époque « Mouvement de la tendance islamique (MTI) », défendait alors une conception « intégrale » de l’islam comme fondement doctrinaire de son identité et de ses orientations stratégiques.
Mais le mouvement qui se donnait pour objectif de « redonner vie à la mosquée en tant que lieu de culte et de mobilisation populaire » se présente aujourd’hui volontiers comme « un parti civil ouvert à tous les Tunisiens sans exception ».
Parallèlement, le parti semble changer de référentiel. Né dans le sillage de la confrérie des Frères musulmans égyptiens, fondée en 1928 par Hassan Al-Banna, et resté longtemps attaché à cette référence, Ennahdha ne cache pas aujourd’hui son admiration pour le Parti de la justice et du développement, fondé par l’actuel président turc Recep Tayyip Erdogan. Ce nouveau positionnement a-t-il été mûri par l’épreuve du pouvoir ou bien a-t-il été dicté par une lecture prudente des rapports de force dans le pays et la région?
Formant l’ossature du gouvernement de la Troïka (2011-2014) issu des de l’Assemblée nationale constituante, le parti n’a pas eu la vie facile face à une partie de la société civile et de l’intelligentsia du pays, très méfiante envers des intentions attribuées à Ennahdha de vouloir changer le modèle de société tunisien.
Des soupçons amplifiés par l’accueil à Tunis de figures de la mouvance salafiste et par des prises de positions, publiques ou divulguées à leur insu, des dirigeants du parti.
« Le mouvement s’est aliéné une partie des journalistes, des intellectuels, des magistrats, des chefs d’entreprise et des militants de la société civile », explique Slaheddine Jourchi, journaliste et analyste politique.
« Face à la crise avec l’Union générale tunisienne du travail, nous avons manqué de peu la grève générale en décembre 2012 », rappelle-t-il.
En 2013, ébranlé par une vague de protestations suite à l’assassinat de l’opposant de gauche, Chokri Belaid et du député nationaliste Mohamed Brahmi, le mouvement accepte le principe d’un dialogue national pour sortir le pays d’une crise politique qui s’éternisait.
En février 2014, Ennahdha acceptait de transmettre le pouvoir à un gouvernement dit de technocrates conduit par Mehdi Jomaa.
Alors que pour des analystes, cette décision d’Ennahdha illustrait la prudence du mouvement après la mise à l’écart en Egypte, en juillet 2013, du gouvernement issu des Frères musulmans, le parti jure qu’il a quitté le pouvoir de son plein gré.
Arrivé en deuxième position lors des élections législatives de 2014, le mouvement a accepté de former un gouvernement d’alliance avec Nidaa Tounes, son rival d’hier.
« Le pouvoir est une colombe, dont les deux ailes sont Ennahdha et Nidaa », a même déclaré à l’ouverture du congrès Constitutif de Nidaa Tounes en janvier dernier, le président du mouvement Rached Ghannouchi, artisan avec le président Caid Essebsi, de ce rapprochement.
La séparation entre deux aspects constitutifs du mouvement Ennahdha ne fait pas l’unanimité à l’intérieur du parti, pourtant réputé pour sa discipline partisane.
Alors qu’une frange des militants et des cadres est favorable à une ouverture de leur mouvement, d’autres voient en ce changement un reniement des principes et des engagements originels d’Ennahdha.
Pour consolider cette image d’un parti comme les autres, la direction ne cesse d’affirmer que tout Tunisien pourra, s’il le souhaite, adhérer à Ennahdha. A moins que ce ne soit pour élargir la base des militants, en prévision de remous internes contre la stratégie adoptée par le parti.