Un constat : le paysage politique qui prévaut actuellement en Tunisie donne l’impression que le pays n’est pas gouverné et qu’il est à la dérive, en tout cas au regard de la gravité des dérapages multiformes (politiques, sécuritaires, policiers, syndicaux, sportifs…) qui ont lieu, ces temps-ci, à travers tout le pays.
La situation est devenue tellement délétère qu’aujourd’hui chaque Tunisien se pose sérieusement des questions sur la capacité à réformer le pays.
Plus grave encore, lorsque les premiers responsables des institutions en charge du pays (Parlement, présidence de la République, présidence du gouvernement et partis au pouvoir) sont interpellés sur ce vide politique, voire sur cette instabilité politique, chacun d’eux invoque une raison pour se disculper.
Mauvais rendement d’un président
A commencer par le président de la République, Béji Caïd Essebsi. Il rappelle que la Constitution ne lui donne pas assez de prérogatives pour prendre des initiatives et faire bouger les choses. Pour remédier à son immobilisme, certains le taxent de vouloir modifier la Constitution afin de disposer d’une plus grande marge de manœuvre. Comme si l’actuelle Constitution ne lui permettait pas de visiter les régions, d’exercer son rôle de leader moral lors de la survenance de crises, de proposer des lois capitales pour le pays du type une loi sur la réforme fiscale…
Malheureusement, ce président a eu le démérite de se distinguer, depuis son investiture, il y a un an et quatre mois, à la magistrature suprême, par deux initiatives qui en disent long…
La première a consisté à violer la Constitution en intervenant dans les affaires internes de son parti (Nidaa Tounès) et en soutenant le clan de son fils alors que la Constitution lui interdit, strictement, de telles immiscions.
La deuxième concerne sa proposition d’une loi sur la réconciliation financière et économique qui viseraient, selon certains, à recycler les kleptocrates de Ben Ali…
Un chef de gouvernement sans base politique
Pour sa part, le chef du gouvernement, Habib Essid, nommé par les soins de BCE, explique l’incapacité de son équipe à trouver des solutions aux multiples problèmes que connaît le pays, par l’absence de base politique devant soutenir son action.
Manœuvrant en solitaire, le chef du gouvernement est obligé le plus souvent de supporter les débordements de certains chefs des partis de la coalition gouvernementale. C’est le cas de Slim Riahi, président de l’Union patriotique libre (UPL) -parti membre de la coalition gouvernementale. Ce dernier s’est permis d’insulter en public le chef du gouvernement, lui reprochant de ne pas avoir ouvert le dossier de la corruption au sein de la Fédération tunisienne de football.
C’est le cas aussi de Hafedh Caïd Essebsi, nouveau chef de Nidaa Tounès, qui a osé, lors d’une récente réunion de la coordination des partis au pouvoir (24 mars 2016), reprocher «sur un ton désagréable» au chef du gouvernement le fait de garder dans son gouvernement certains ministres qui ont pourtant démissionné de leurs partis.
En dépit de ces désagréments et de ce malsain climat de travail, le chef du gouvernement continue à gérer les affaires courantes apparemment à un rythme moindre et sans grande conviction.
Un Parlement qui fonctionne au rythme de son président
Mohamed Ennaceur, président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), explique quant à lui son immobilisme par la grande masse de lois et de réformes à adopter. Sa lenteur a été critiquée par l’institution présidentielle qui lui aurait envoyé une missive dans laquelle elle lui aurait demandé d’accélérer le rythme de travail; mais également par des députés dont plusieurs de ses collègues au sein de Nidaa Tounès.
Selon la députée Samia Abbou, du parti Courant démocrate, Mohamed Ennaceur «n’aurait ni la capacité physique ni la capacité intellectuelle pour diriger les travaux de l’ARP, et serait en train de ralentir les travaux de l’assemblée». Il y aurait, selon elle, «des discussions en coulisses, au sein de l’ARP, pour le faire remplacer».
Les partis de la coalition: chacun pour soi et Dieu pour tous
S’agissant des partis de la coalition gouvernementale, la tendance serait au chacun pour soi. Nidaa Tounès, parti vainqueur aux dernières élections, est de plus en plus marginalisé après son émiettement en plusieurs groupuscules politiques. Les dissensions connues par ce parti ont certes rétréci la marge d’action et de réforme du gouvernement, mais elles ont profité surtout au parti Ennahdha, devenu, du coup, le premier parti du pays.
Le parti de Rached Ghannouchi est le principal gagnant de ce vide politique. Ce parti, qui a tendance à se donner en spectacle le pourrissement de la situation dans le pays, brille par son absence et donne l’impression qu’il attend le bon moment pour reprendre le pouvoir. Son rendement est quasi nul au plan du débat politique…
A titre indicatif, il n’a à son actif aucune contribution significative aux grands débats sur l’endettement excessif du pays et sur le retard qu’accuse la réforme fiscale.
Pis, au sein du gouvernement, le secteur que connaît le plus de troubles et de crises, à savoir, celui des industries extractives, est géré par un ministre nahdhaoui, le Franco-tunisien, Mongi Marzouk. C’est sous sa responsabilité que la production du phosphate est toujours bloquée et que la situation des sit-inneurs devant la société Petrofac, à Kerkennah, a empoisonné la vie des Tunisiens…
Le plus grave, ce parti manœuvre sous la protection du chef de l’Etat qui s’est donné pour devoir de protéger les nahdhaouis et de voler les voix des Tunisiens qui l’on élu justement pour nous les faire oublier.
Afek Tounès, autre parti de la coalition, se préoccupe plus de son ancrage politique, notamment des prochaines élections municipales. Ce parti connaît, également, un problème de confiance et de discipline au sein de ses cadres. On ne voit pas sinon comment expliquer ce dérapage inadmissible.
Lorsque Brahim Yassine devait présenter, devant l’ARP, en sa qualité ministre du Développement, de l’Investissement et de la Coopération internationale, le projet du code de l’investissement, mais c’est le chef du groupe parlementaire de son parti qui s’y opposerait avec acharnement et présente le plus d’objections à ce projet. Tout indique que le problème majeur de ce parti concerne son président (Yassine Brahim) qui aurait d’autres agendas.
Enfin, l’Union patriotique libre (UPL), quatrième parti de la coalition, pâtit de l’exubérance de son président qui, grisé par une ambition politique sans limites, a tendance à gérer son parti plus comme une entreprise privée que comme un mouvement politique porteur de valeurs et de projets alternatifs. Plusieurs de ses cadres dont le ministre des Sports, Maher Ben Dhia, et deux députés, ont démissionné de ce parti.
Son ministre du Commerce, Mohsen Hassan, pour justifier son incapacité à lutter contre la contrebande, a évoqué des menaces qu’ils auraient reçues de contrebandiers.
Au total, la situation générale est grave
Autant dire qu’il n’y pas de quoi être optimiste. Cette situation, pour peu qu’elle dure, va attiser toutes les convoitises, y compris celles des terroristes. A court terme, elle peut compromettre la crédibilité du pays et son attractivité en tant que destination touristique, de site de production international et de pays sécurisé.
Les enjeux sont hélas énormes. Les responsables du pays se doivent d’assumer pleinement leurs responsabilités…