Comment devenir fanatique? comment s’embourber dans un système idéologique clos ? Comment comprendre ce phénomène qui se répand dans le monde et surtout comment y résister? Tels sont les thèmes évoqués lors d’une conférence tenue samedi à Carthage (Banlieue Nord de Tunis) sur le thème “la pensée face à la violence”.
Pour résister à ces mouvements idéologiques, il faut tout d’abord connaître ceux à qui on s’oppose, a estimé le sociologue et philosophe français Edgar Morin.
Les conditions sociales difficiles, les inégalités, la sous-intégration des jeunes dans certaines sociétés, le rejet, l’humiliation, les milieux familiaux à la fois autoritaires et laxistes, la dégradation des valeurs et des principes sont autant de facteurs qui favorisent le fanatisme, a-t-il expliqué. Pour lui, trois facteurs sont à l’origine du développement de ce phénomène :
la réduction de l’autre au pire de lui-même et de ce qui est notre en son meilleur (réductionnisme), la lutte du bien absolu contre le mal (manichéisme) en plus de l’idéologie ou la croyance religieuse, en masquant le réel, qui permet au fanatique de se croire possesseur de la vérité absolue.
“L’idéologie et les idées deviennent un écran qui bouche la réalité extérieure” a indiqué Morin qui a ajouté que cette idéologie est prise, par le fanatique, pour la réalité. Le fanatique est dans l’indignation et la haine permanente, ce qui le conduit à s’intégrer dans l’armée du bien et de la servir jusqu’à la mort, a-t-il ajouté.
Comment résister à ce fléau de fanatisme et de violence? s’est-il interrogé. Il faut enseigner aux jeunes les différentes facettes du bien, du mal et de la réalité et les initier à l’esprit critique et à la connaissance, révèle Morin. L’initiation à la compréhension d’autrui, et l’éducation à affronter l’incertitude doivent être intégrés dans l’enseignement, a-t-il dit.
Accepter L’autre qui est semblable à moi et différent à la fois, a-t-il indiqué. L’espoir doit être proposé par une voie planétaire, une nouvelle pensée et un destin commun pour tous qui rend possible un autre monde, a souhaité Edgar Morin.
De son côté, Abdelmajid Charfi, président de Beit El Hikma, a souligné que la réflexion et le développement du sens critique et l’esprit d’initiative figurent parmi les priorités actuellement des pays arabes pour faire face à la montée du fanatisme et de la violence. Charfi a indiqué que le phénomène de la violence et du fanatisme ne sont pas systématiquement associés à la religion.
Trois raisons principales semblent expliquer le déferlement de la violence et la montée du fanatisme dans le monde arabe, selon charfi: “le mimétisme” qui consiste à imiter le plus fort ou le “plus pieux”, la peur de la différence et l’intimidation.
La détérioration des valeurs humaines, le chômage, la marginalisation et la pauvreté sont autant de raisons qui poussent certains jeunes au fanatisme, a-t-il ajouté, appelant à ancrer auprès des jeunes le sens de responsabilité, qui avec l’éducation et l’enseignement, pourraient les prémunir contre le danger de l’extrémisme et du terrorisme.
Cette conférence a été organisée par l’Académie Tunisienne des sciences, des lettres et des arts (Beit El Hikma) en collaboration avec le département culturel de la présidence de la république et a connu la présence d’universitaires et d’hommes politiques, de culture, des médias et diplomatiques.
Edgar Morin est un sociologue et philosophe français, né à Paris, le 8 juillet 1921. Il est le père de la pensée de la complexité en France. Abdelmajid Charfi est un universitaire Tunisien spécialiste de la civilisation et de la pensée islamique.