Tunisie : Les régions marginalisées sont aussi concernées par le processus de justice transitionnelle

Des experts nationaux et internationaux, des acteurs de la société civile et des responsables locaux ont souligné, jeudi, la nécessité de rendre justice aux régions qui ont été longtemps marginalisées avant et après la révolution.

Lors d’un colloque organisé à l’initiative du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES) et Avocats Sans Frontières (ASF), sous le thème “la région victime dans le cadre du processus de justice transitionnelle en Tunisie, les intervenants ont indiqué que plusieurs régions de l’intérieur du pays ont subi pendant de longues années une grande injustice dans la répartition des richesses et souffrent à ce jour des conséquences des mauvais choix politiques.

Intervenant à cette occasion, Messoud Romdhani, vice-président du FTDES a signalé que le dossier de “la région victime: Kasserine”, déposé le 16 juin 2015 par le FTDES avec l’appui de l’ASF a été jugé recevable par l’instance vérité et dignité (IVD).

“L’objectif étant de remettre au coeur du débat les disparités régionales qui ont été véritablement institutionnalisées pendant les décennies du régime déchu de Ben Ali en appelant à les intégrer pleinement dans le cadre du processus de justice transitionnelle tunisien”, a-t-il ajouté.

Dans ce contexte, il a estimé que beaucoup d’autres régions continuent à enregistrer des taux élevés de chômage et de pauvreté en raison de l’adoption du même modèle de développement basé sur les inégalités régionales.

De son côté, Sihem Ben Sedrine, présidente de l’IVD a fait savoir qu’à la suite du dépôt du dossier de la région de Kasserine, d’autres dossiers volontaires de ce type ont été présentés à l’IVD (Gabès, Bizerte) ce qui prouve que la question des disparités régionales demeure au centre des préoccupations de la société civile et des citoyens tunisiens.

Ben Sedrine a appelé à la création d’un réseau ou d’un groupement qui offre l’assistance technique aux groupes qui veulent déposer des dossiers de ce genre afin de simplifier les procédures, soulignant l’importance du rôle de la société civile dans l’accélération du processus de justice transitionnelle.

Elle a ajouté que l’IVD, qui a reçu à ce jour plus de 20 mille 500 dossiers, est incapable d’accomplir ses missions (audition de toutes les victimes et investigations) sans le soutien de la société civile, faisant observer que parmi tous les dossiers reçus, la région de Kasserine semble, en effet, être en tête du classement au niveau des violations socioéconomiques.

Elle a précisé que le processus de justice transitionnelle ne doit pas concerner les individus, uniquement, mais aussi les régions, faisant savoir que presque la moitié des dossiers parvenus à l’IVD n’ont aucun rapport avec la politique et sont des violations de tous genres (corruption, violations socioéconomiques …).

Ben Sedrine a indiqué que les expériences comparées n’ont pas tenu compte de cet aspect et n’ont pas accordé l’intérêt qu’il faut aux violations collectives dont l’identification des causes permet de rendre justice à un groupe d’individus et à toute une région.

Selon Antonio Manganella, chef de mission à l’ASF, l’institutionnalisation de la marginalisation se compose de plusieurs facteurs dont notamment le copinage, le clientélisme, la corruption et la forte centralisation du pouvoir.

“Les collectivités territoriales et locales étaient pratiquement une coquille vide”, a-t-il estimé. L’intervenant a ajouté qu’il convient actuellement de mettre en oeuvre les dispositions de la constitution de 2014 notamment en ce qui concerne le développement local des régions.

Boubaker Ben Thabet, secrétaire général de l’ordre national des avocats a, pour sa part, mis l’accent sur la nécessité d’enraciner et de diffuser la culture de la justice transitionnelle, indiquant que l’ordre national des avocats contribue activement au processus de justice transitionnelle à travers la formation des avocats dont certains ont choisi de s’impliquer de manière effective dans ce processus en adhérant à l’IVD.