La crise du livre s’explique par son absence dans les programmes d’enseignement obligatoires

Plusieurs écrivains ont considéré que la crise du livre tunisien s’explique essentiellement par son absence dans les programmes d’enseignement scolaire obligatoires alors que d’autres estiment que c’est la responsabilité de l’éditeur.

Pour Slaheddine Hamadi, président de l’Union des écrivains tunisiens la crise du livre est due au manque d’engouement des tunisiens pour la lecture et l’absence d’un marché du livre outre l’échec des maisons d’édition à diffuser leurs publications à large échelle.

Il a expliqué à l’agence TAP que la littérature tunisienne est quasi absente des programmes d’enseignement. Des études ont souligné que la présence du livre tunisien dans les programmes scolaires est estimé à moins de 2,8%, un taux assez faible comparé à la situation dans d’autres pays tel l’Algérie où la présence de la littérature algérienne dans les programmes d’enseignement est de l’ordre de 30%.

Pour le poète et enseignant du secondaire Lotfi Chabbi la régression de l’intérêt accordé au livre tunisien s’explique essentiellement par le manque d’engouement pour la lecture en tant que matière d’enseignement obligatoire.

Il a proposé de rendre cette matière obligatoire avec un fort coefficient afin qu’elle puisse retenir l’intérêt des élèves qui sont plutôt intéressés par les matières à fort coefficient beaucoup plus que par le contenu des matières enseignées, a-t-il estimé.

Evoquant la rareté des bibliothèques dans les lycées, il a souligné l’impératif de coordonner entre le ministère de la culture et le ministère de l’éducation pour équiper les établissements scolaires de ces espaces de lecture.

Il a expliqué que certains enseignants cherchent à travers des initiatives individuelles à encourager les élèves à la lecture en comptabilisant la lecture dans la note de l’oral. Cela demeure insuffisant tant que le ministère n’a pas décidé d’en faire une matière indépendante avec un coefficient important pour inciter les élèves tout autant que les parents à s’intéresser à la lecture.

Cette opinion a été partagée par l’un des éditeurs qui a considéré que la crise du livre tunisien s’explique essentiellement par le fait que cette activité, en tant que matière d’enseignement scolaire, ne bénéficie pas du même traitement que les mathématiques, les sciences ou les langues. Il a appelé les autorités de tutelle à revoir cette question au service du livre tunisien et à contribuer par là même à l’émergence d’une génération future de lecteurs.

Il a également nié que la crise du livre soit liée à l’édition, indiquant que certains éditeurs tunisiens encouragent les élèves à la lecture en organisant des compétitions et en veillant à la publication des meilleures nouvelles en arabe et en français afin d’améliorer le niveau des élèves et découvrir de nouveaux talents.

De son côté, l’écrivaine et poète Zeyneb Jouili, présidente du comité national de la défense de l’écrivain tunisien, a affirmé à l’agence TAP que la crise du livre tunisien est liée principalement à l’édition et à la distribution.

Elle a accusé des maisons d’édition d'”extorsion” des auteurs à travers l’impression de publications sans veiller à faire connaître l’auteur, ni ses oeuvres à grande échelle étant préoccupés en premier lieu par le recouvrement des dépenses des travaux d’impression.

Afin d’appuyer son idée, elle a évoqué les profits dont certains éditeurs bénéficient à travers l’acquisition par le ministère de la Culture de nombre de leurs productions, leur garantissant ainsi un gain facile sans déployer aucun effort en matière de distribution à l’intérieur ou à l’étranger.

Jouili a aussi affirmé que les médias assument une part de responsabilité puisqu’ils n’assurent pas une couverture régulière des actualités liées à l’édition.

Elle a aussi critiqué les auteurs qui ne fournissent pas des efforts particuliers pour faire connaître leurs ouvrages appelant à une mobilisation collective pour encourager la diffusion du livre tunisien en associant les autorités de tutelle, les associations et les structures concernées par le livre.

Kamel Ryahi, auteur, a évoqué l’absence d’éditeurs et de distributeurs professionnels, affirmant qu’il “n’y a pas lieu de parler d’une crise du livre mais plutôt d’une crise d’éditeurs”.

“L’éditeur tunisien ne dispose pas d’une stratégie à moyen ou long terme pour faire connaître le livre tunisien puisqu’il concentre ses efforts pour vendre ses publications au ministère de la culture et récupérer ses dépenses” sans oublier les subventions sur le papier.

Nombre de lecteurs et de libraires de Tunis ont considéré que la crise du livre est avant tout une crise de contenu, soulignant l’engouement des lecteurs tunisiens pour les publications étrangères.

D’autre part, l’écrivain et président de la Ligue des écrivains tunisiens libres, Jalloul Azouna, a considéré qu’il ne s’agit pas d’une crise de contenu ou de production, mais plutôt “d’une crise de marché et une désaffection de la lecture”. La solution, a-t-il dit, réside dans la revalorisation de la culture en oeuvrant pour qu’elle soit “une préoccupation citoyenne”.

La culture ne devrait pas être l’anneau le plus faible parmi les préoccupations de l’Etat comme le reflète la faiblesse du budget réservé au ministère de la culture, a-t-il encore expliqué.

Bien que les avis soient partagés sur les origines de la crise du livre tunisien il n’en demeure pas moins que la situation du livre est étroitement liée à la réalité des auteurs, parmi les poètes, les écrivains, et les chercheurs.

Ils ont été unanimes pour affirmer que la dégradation de la situation sociale des créateurs empêche ceux-ci de se consacrer à la création. L’absence d’une protection des droits d’auteurs a aussi contribué à aggraver leur situation sociale d’où les appels incessants pour mettre en place “un fonds pour la dignité de l’écrivain tunisien”.