Il y a an, jour pour jour, la Tunisie se dotait d’une nouvelle Loi fondamentale. La Constitution de la Deuxième République scellait la fin d’une époque et l’avènement d’une nouvelle ère.
L’évènement fit d’autant plus sensation que le challenge était loin d’être gagné d’avance. Mais, passés les premiers moments d’euphorie et à l’épreuve des réalités du terrain, il s’avère pour les spécialistes que l’Assemblée nationale constituante aurait pu mieux faire.
C’est que, selon eux, la loi suprême, censée être la référence incontestée, pèche par trop de marge laissée à l’interprétation de ses dispositions, au risque de compromettre la proclamation de la fin de l’étape de transition.
Ils trouvent même potentiellement porteurs de polémiques certains de ses articles. Interrogée par l’agence TAP, la Constitutionnaliste Hana Ben Abda constate déjà des cas où la nouvelle Constitution a été violée pour cause d’interprétations divergentes de certaines dispositions: par exemple lorsqu’il s’est agi de charger une personnalité de former le gouvernement.
D’emblée, a-t-elle rappelé, les avis se sont heurtés à propos de la question de savoir qui du président provisoire de la République ou du président élu devait demander au chef du parti arrivé en tête aux élections législatives de proposer un nom pour former le gouvernement, en application de l’article 89. Il a fallu l’intervention « politique » du mécanisme du Dialogue national pour trouver une issue au problème du conflit de compétence.
« Les dispositions de la Constitution ont aussi été violées lors de la séance plénière d’investiture de l’Assemblée des représentants du peuple, laquelle a dû être laissée ouverte » pour, rappelle-t-on, contourner le problème de l’élection du président et des vice- présidents du parlement. La convocation à une date rapprochée de la séance plénière d’investiture par le président de l’Assemblée nationale constituante n’avait pas laissé à la recherche de compromis le temps d’aboutir.
Un autre constitutionnaliste, Chawki Gaddès, qui est en même temps secrétaire général de l’Association tunisienne de droit constitutionnel, pense lui aussi que la Constitution comporte nombre de lacunes et, surtout, d’imprécisions de formulation, ce qui est de nature, selon, lui à provoquer des divergences d’interprétation du texte, même par les spécialistes les plus avertis.
Il a avancé le même cas de figure évoqué par sa consœur concernant le recours à un compromis politique du Dialogue National pour désamorcer une crise en rapport avec l’application de l’article 89. « La Constitution va certainement poser d’autres problèmes d’exercice du pouvoir », a prédit cet expert selon qui « nous ne sommes pas encore sortis de l’étape de transition ».
Cette étape là ne prendra fin « qu’après la mise en place d’institutions pérennes, ce qui nécessitera des délais assez longs… pas nécessairement ceux prévus par la Constitution ». Gaddès avait été le premier à plaider pour le maintien de la Constitution de 1959 mais en l’expurgeant des amendements ultérieurs qui avaient été introduits.
L’Assemblée nationale constituante avait adopté le 26 janvier 2014 la Constitution de la deuxième République, avec un véritable plébiscite: 200 voix pour, 12 contre et seulement 4 abstentions.
De tous les députés, d’habitude très absentéistes, seul manquait à l’appel ce jour là Mohamed Brahmi, lâchement assassiné six mois plus tôt. La nouvelle Loi fondamentale de la République tunisienne a été promulguée dès le lendemain, 27 janvier.