Tunisie : Les programmes économiques des partis politiques

Les partis politiques proposent dans leurs programmes économiques pour les élections prévues le 26 octobre 2014, d’atteindre des taux de croissance variant entre 5 et 7%, au cours des cinq prochaines années.

Ces taux sont considérés comme ambitieux par rapport à la gravité de la situation économique, laquelle a incité la Banque centrale de Tunisie (BCT) à réviser à la baisse ses prévisions de croissance pour l’année 2014 à seulement 2,3% et à 3% pour 2015. La BCT a attiré à plusieurs reprises l’attention sur la gravite des menaces qui guettent les équilibres généraux du pays.

L’expert économique et fondateur de l’Association Action et développement solidaire (ADS) Radhi Meddeb, estime que les partis politiques ne proposent pas dans leurs programmes économiques des plans de sauvetage urgents pour l’économie nationale. Leurs objectifs sont déconnectés de la réalité économique qui se caractérise par une crise économique et financière étouffante, a- t-il dit.

Revenir à des taux de croissance élevés tel que projeté par les partis nécessite, selon M.Meddeb, l’engagement de réformes fondamentales douloureuses.

Alors que pour les partis, il suffit de passer d’un modèle de développement basé sur des activités à faible valeur ajoutée à un modèle de développement basé sur les secteurs à haute valeur ajoutée et un contenu technologique fondé sur la créativité et l’innovation, pour atteindre les taux de croissance qu’ils ont programmés.

Ennahdha: Ouverture sur l’économie mondiale et incitation à l’investissement

A cet égard, le parti Ennahdha (islamiste) qui a préparé son programme à partir de son expérience au pouvoir (octobre 2011/janvier 2014), prévoit la réalisation d’un taux de croissance de pas moins de 5% pour les trois prochaines années et de 7% à partir de 2018, soit une moyenne de croissance annuelle de 6%.

Pour le mouvement, la réalisation de cet objectif nécessite une intégration active dans le système économique mondial de manière à favoriser davantage l’investissement, réduire les coûts et encourager la créativité.

Ennahdha propose des réformes structurelles en vue de garantir un climat propice à l’investissement à travers l’élimination des obstacles devant l’initiative privée, l’encadrement de nouveaux investisseurs, le rapprochement entre l’Off-shore et l’On shore.

Il prévoit la création d’un conseil supérieur de l’investissement, la réforme du secteur bancaire, le développement des finances islamiques en vue de les porter à 50% des financement des marchés, la réforme du système fiscal à travers la révision du régime forfaitaire, la lutte contre l’évasion et la modernisation de l’administration fiscale.

Le mouvement prévoit de grands programmes nationaux qui augmenteront l’investissement public de 10% tout en ambitionnant de réduire l’endettement à moins de 45%.

Pour le parti Afek Tounes (libéral), la Tunisie a besoin de réformes profondes et d’une révision de son modèle de développement. L’objectif consiste à hisser le pays au rang des 5 meilleurs économies au niveau méditerranéen.

Il s’agit de libéraliser l’économie des lourdeurs administratives et des procédures qui handicape l’activité économique.

Pour réaliser ses objectif, le parti misera sur le développement de l’économie numérique afin de hisser la Tunisie au rang de pole technologique numérique avant- gardiste dans la région euroméditerranéenne.

Conscient de l’importance de l’apport des secteurs technologiques dans le développement (17%), l’investissement (10%) et la création d’emplois (10% actuellement), le parti prévoit 10 programmes.

Afek Tounes donne la priorité dans ce programme, à l’ouverture sur le monde et met l’accent sur l’importance de l’intégration maghrébine, le développement des relations avec l’Union européenne et de la conclusion d’un accord de libre échange avec les Etats unis, l’objectif étant de booster les IDE, lesquels seront la locomotive de la croissance.

Al Joumhouri : l’investissement extérieur, moteur

essentiel de croissance

De son coté, Al Joumhouri (centre) va au delà des incitations à l’IDE et suggère, dans le cadre de son programme économique, une révision des textes organisant les investissements extérieurs en adoptant le principe de la liberté totale d’investissement.

La révision devrait toucher l’autorisation préalable exigée des étrangers désirant acquérir 50% ou plus des grandes entreprises industrielles tunisiennes.

Les sociétés à participation étrangères pourront même avoir recours au recrutement des ouvriers étrangers à hauteur de 30%, selon le programme du parti.

Afin de réaliser un taux de croissance fixé entre 4 et 4,5% en 2015 et porter à la fin de 2019 à 7 ou 7,5%, soit une moyenne de 6%, le parti oeuvrera à porter le rythme d’investissement de 24% actuellement, à 28 et 29% du PIB à la fin de 2019.

Contrairement au parti Ennahdha, Al Joumhouri a admis que son programme nécessite le renforcement des ressources fiscales, des aides et des crédits intérieurs et extérieurs, ce qui engendrera une hausse du taux d’endettement, notamment, au cours des deux ou trois premières années. Ce taux devrait baisser à partir de la 4ème ou la 5ème année à hauteur de 2 ou 3 points par an, selon le parti.

Nidaa Tounes : Renforcer le PIB de 34% sur cinq ans

Pour sa part, le parti Nidaa Tounes (centre) vise dans son programme, à réaliser une croissance élevée et stable qui devrait atteindre 34% du PIB durant les 5 prochaines années (environ 7% par an) outre une hausse de plus de 28% du revenu par habitant.

Selon le programme du parti, des investissements de l’ordre de 125 milliards de dinars seront mobilisés sur une période de 5 ans soit 40% de hausse par rapport aux dernières années.

A l’instar des programmes des autres partis, celui de Nidaa Tounes est axé sur la nécessité de promouvoir les technologies et les secteurs innovants et créateurs d’emplois.

Le programme électoral de Nidaa Tounes comporte 24 volets technologiques qui permettront de doubler les capacités industrielles exportatrices (40 milliards de dinars en 2019). Il s’agit en outre de doubler le taux d’exportation dans le secteur technologique (de 25% en 2010 à 50% en 2019).

Le Front Populaire (gauche) paraît plus réaliste dans ses objectifs puisqu’il prévoit un taux de croissance de 3% en 2015 et qui atteindra progressivement 7% en 2019.

Le programme économique de ce parti est basé sur la consolidation du rôle direct de l’Etat dans l’investissement et la création de richesses, outre son intervention directe en tant que producteur à travers sa supervision des secteurs stratégiques, notamment les activités liées aux ressources et richesses naturelles.

Contrairement aux restes des partis qui appellent au désengagement de l’Etat des secteurs compétitifs et le maintien de son contrôle des secteurs stratégiques, le front populaire prône l’arrêt complet de la politique de privatisation et la soumission des entreprises à caractère économique à des méthodes de gestion modernes à même de renforcer leur productivité et leur compétitivité.

Le parti qui appelle à protéger les nouveaux secteurs économiques de l’économie parallèle et la concurrence étrangère, met l’accent sur la nécessité de s’intégrer dans l’économie mondiale tout en préservant les intérêts nationaux, à travers la révision des accords et en soumettant les IDE à des conditions et des mécanismes à même de garantir le respect des droits des travailleurs.

IL s’agit, par ailleurs,d’orienter ces IDE vers des secteurs créateurs d’emplois et de richesses. Selon le front populaire, la réforme du système fiscal permettra de mobiliser d’importantes ressources lesquelles aideront à réaliser le développement. L’endettement extérieur «nécessaire et destiné au développement» doit être soumis au contrôle parlementaire. Ettakatol: compter sur l’investissement pour améliorer le rythme du développement

Ettakatol-forum pour le travail et leS libertés (socialiste) ambitionne de porter le taux de croissance à 8% à l’horizon 2019. Ce taux sera réalisé à travers l’augmentation du taux de l’investissement de 20% actuellement à 27% à l’orée de 2019.

Le parti estime qu’afin de réaliser ces objectifs, il est nécessaire de moderniser l’administration, d’adopter l’efficience et la transparence, de généraliser la gestion par objectifs (GPO) et les règles de la bonne gouvernance. IL compte en outre renforcer la confiance en la finance publique, promulguer le code de l’investissement, concrétiser le pacte social, parachever la réforme fiscale et consolider le partenariat public-privé (PPP). Le Congrès pour la République (CPR)

En dépit de son expérience au pouvoir dans le cadre de la Troika (Ennahdha, Ettakatol, CPR), le programme économique du CPR (centre gauche) est succint et repose sur quelques titres consistant en le rétablissement des équilibres financiers et commerciaux, outre l’orientation de l’économie vers les secteurs stratégiques sans donner de détails sur la manière de concrétiser ces objectifs.

Les programmes des partis: des titres pompeux loin de la réalité économique nationale

L’expert en économie Radhi Meddeb a souligné que “la Tunisie fait face à une grande crise financière et économique et nous estimons que les partis politiques ne sont pas conscients de la situation”.

Il a affirmé que les réformes proposées par les partis ne sont que des titres pompeux. En effet, a-t-il dit, il n’y a pas de détails concernant les réformes préconisées et la manière de les concrétiser, à l’instar de la réforme bancaire et la recapitalisation des banques publiques. Tous les partis appellent à cela sans donner de précisions sur le comment de la réalisation de ces réformes.

Meddeb a expliqué que les prochains gouvernements seront contraints à suivre des politiques économiques rigoureuses dans le cadre des engagements de la Tunisie avec le Fonds monétaire international (FMI) et la banque mondiale (BM).

Les partis politiques y compris ceux qui étaient au pouvoir proposent des politiques incompatibles avec les moyens d’investissement de l’Etat au cours des prochaines années, a- t-il affirmé. “IL est impératif de prendre conscience du fait que la réalisation de niveaux élevés de croissance est insuffisant sans un développement inclusif aux plans social et régional” a conclu l’expert.