Ceci, Lotfi Maktouf l’a compris. Lui qui a eu la chance d’échapper à l’analphabétisme et la marginalisation par force de patience et d’abnégation. Mais combien auraient pu faire comme lui?
«Les événements qui ont eu lieu en Tunisie entre le 17 décembre 2010 et le 14 janvier 2011 m’on interpellé. Comment oublier que je suis Tunisien? Je suis rentré pour découvrir ce qui se passait dans mon pays et pas dans les grandes artères de la capitale mais dans les coins les plus reculés du pays. J’ai rencontré une petite fille qui marchait vers l’école en plein hiver. Elle devait parcourir des kilomètres pour y arriver. Cela a fait tilt dans ma tête, il fallait que je fasse quelque chose pour ces enfants dont la seule erreur est d’être nés pauvres et démunis».
Lotfi Maktouf a trouvé l’astuce: le transport rural. L’association qu’il a fondée «Al Madania» assure aujourd’hui le transport de près de 4.800 enfants qui ne pouvaient étudier que trois à quatre mois par an et lorsqu’il fait beau. «Comment traverser des routes escarpées en plein hiver dans le froid sans aucune garantie de sécurité ou l’assurance d’arriver à son école sans risques? Il fallait protéger ces enfants, et remplir des classes vides qui ne motivaient même pas les instituteurs. Lesquels des fois se trouvaient devant 3 ou 4 élèves. Grâce à cette association, les classes sont remplies. Mieux encore, ces jeunes enfants sont devenus plus disciplinés. Sans qu’on leur dise quoi que ce soit, ils font la queue pour monter dans les véhicules qui les transportent à leurs classes, ils dénoncent les retards ou les abus des chauffeurs dans certains cas et veillent à améliorer leurs résultats scolaires. La petite fille qui m’a inspiré l’idée de créer le projet du transport rural avait 4 de moyenne quand je l’ai vue pour la première fois sur le bord de la route, aujourd’hui elle en a 16 et c’est ma plus grande satisfaction».
Lotfi Maktouf et son association ont instauré un protocole pour les transporteurs des élèves, pas de clients supplémentaires et pas de cigarettes en voiture. Tous les élèves sont munis de cartes d’adhésion qui font office d’abonnements scolaires. Pour avoir fait cette seule action, le fondateur d’Al Madanya a parcouru le pays en long et en large et ne s’est pas limité aux diagnostics ni aux solutions tronquées: «acheter des bicyclettes dont on ne peut en faire usage dans des régions enclavés, c’est comme ne rien réaliser, pire, il y a des pères qui ont vendu les bicyclettes en question…».
Evitons les solutions biaisées
Comme Lotfi Maktouf, Nadia Cherif, fondatrice et gérante de la société C&C Tendering (Cooperation and Culture Development), n’aime pas les solutions biaisées. Elle qui a travaillé à la Commission européenne à Bruxelles et à Tunis et réalisé de visu que les aides au développement vont à hauteur de 85% aux Etats, 14% aux organisations qui représentent les pays donateurs dans les pays en développement et que les ONG qui sont les plus efficientes et efficaces sur le terrain ne bénéficient que de 0,8% de ces dons. «Pour moi, c’était révoltant. Car ce sont les associations qui sont les actrices réelles du développement dans des pays comme le notre, et depuis 2011, je me suis attelée à faire en sorte qu’elles bénéficient de lignes de financement qui leur permettent de mieux réussir leurs missions. J’en avais marre d’entendre les donateurs dire que ces associations n’avaient pas d’expérience. J’ai par conséquent mis mon expérience et mes compétence à profit pour aider les associations locales». Résultat: grâce à Nadia Cherif, ces associations ont pu bénéficier de près de 7 millions de $ et elle n’en est qu’au début…
“Tunisia needs us, come back home, come back to be a part of a start up democraty” (La Tunisie a besoin de nous, rentre à la maison, rentre pour faire partie de cette démocratie naissante). Ce cri de cœur est d’Amel Karboul, notre ministre du Tourisme, pour laquelle le temps de réflexion de prendre une aussi importante décision impliquant son mari et ses enfants a été de 2 heures seulement!