Ben Ali est parti depuis plus de trois ans, poussé par la fureur populaire, certes, mais aussi, nous le savons aujourd’hui, devenu ingérable pour les maîtres du monde qui voulaient tout d’abord essayer leur printemps arabe dans un pays comme la Tunisie.
Au départ de Ben Ali, l’euphorie révolutionnaire passée, nous sommes passés à la chasse aux sorcières orchestrées par ceux-là mêmes qui avaient profité, à satiété, des dérives de l’ancien régime. Parmi eux, nombre d’avocats et de juges étaient aux soldes des Trabelsi et Matri pour ne citer que ces deux familles qui se sont enrichies de manière éhontée durant la dernière décennie du règne Ben Ali.
En 2005, un haut dignitaire très proche de l’ancien président tunisien prédisait déjà sa fin de règne, déclarant aux intimes «Le mariage de Sakhr Matri avec la jeune Nesrine sera le clou enfoncé dans le cercueil du président déchu». Sa prophétie s’est réalisée. Sakhr El Matri était non seulement arrogant, opportuniste, vorace et ambitieux, mais il se projetait également en tant que futur président.
Très proche de sa belle-mère, il n’avait de cesse que de s’octroyer des privilèges qu’il ne méritait pas, ce qui était le cas de Leila Trabelsi elle-même.
Sakhr El Matri, dont la personnalité était perturbée, était déchiré entre ses penchants amoraux et les valeurs inculquées par l’islam. C’est ce qui expliquerait sa profonde amitié avec les islamistes et à leur tête Rached Ghannouchi auquel il rendait régulièrement visite à Londres. C’est ce qui explique aussi que malgré les bien confisqués du sieur Matri, il n’y ait pas eu des tentatives sérieuses de la part des gouvernements nahdhaouis de le rapatrier en Tunisie, lui qui demandait aux journalistes présents lors de sa dernière conférence de presse suite à l’acquisition des 25% de Tunisiana de le féliciter pour son accession au poste de président du Conseil d’Administration de la compagnie alors que les jeunes tunisiens mourraient sous les balles de snipers mercenaires.
Sakhr El Matri se la coule douce dans un exil doré alors que ceux qui ont choisi de rester en Tunisie, de ne pas s’enfuir et de faire face à la fureur des malveillants, envieux et rancuniers, restent depuis plus de trois ans otages d’une justice d’exception, celle issue de la logique révolutionnaire.
Noureddine El Bhiri y a veillé au grain, pression et manipulation politicienne usées à satiété jusqu’à se débarrasser, sans respect, des procédures de magistrats jugés encombrants pour les remplacer par sa propre cour.
Les CPRistes, férus de vengeance, y sont allés de leur haine, profitant des campagnes de dénigrement et de diffamation post-révolutionnaires, mais aussi de la découverte de nombre de pratiques injustes illégales tout au long de l’ère Ben Ali. Pourtant, nombre d’entre eux ne pouvaient pas se prévaloir d’un passé aussi «honnête» que cela. Ils se sont donc acharnés sur les listées du gouvernement BCE. Un Béji Caïd Essebsi qui avait joué un jeu dangereux en approuvant et en entérinant un précédent hasardeux dans la justice tunisienne: celui de l’établissement des listes, une mesure anticonstitutionnelle et immorale. Car, qu’il y ait eu passe-droits, népotisme ou abus de pouvoir, les gouvernements post-révolutionnaires auraient dû donner l’exemple en confortant l’Etat de Droit et non celui de l’abus des droits. BCE, en vieux renard politique, aurait dû savoir qu’en adoptant pareille décision, il portait un coup fatal à la paix sociale et à l’économie nationale et, en prime, aux grands groupes et aux investisseurs potentiels.
Au lieu d’apaiser les tensions en usant de l’autorité du père, il les a fortifiées en jouant le jeu des «anges de la vengeance».
Conséquence : les décisions de confiscation et les interdictions de voyages ont très vite plu sur les opérateurs privés; lesquelles décisions, contre toute «logique révolutionnaire», portaient un coup fatal au système judiciaire et la justice que l’on voulait plus équitables après Ben Ali.
«Je suis encore passé ce matin devant Monsieur le juge d’instruction et toujours pas de passeport, malgré ma totale innocence établie par 3 experts différents et désignés par la Justice… Et je peux vous assurer que les Tunisiens regretteront très vite le massacre irresponsable des hommes et femmes d’affaires. Il n’y a plus que des investissements dans le commerce. Et de moins en moins dans l’Industrie. Par peur … du risque dans un environnement hostile depuis le 14 janvier 2011… Et par peur de l’arme de la justice politique … Car le Tunisien n’aime pas la réussite, politique qui saura rester au centre … qui emportera les prochaines élections. La démocratie … sans justice indépendante et juste… et sans développement équilibré… n’a aucun sens et aucun avenir…».