Après l’énonciation du droit à la propriété intellectuelle dans la nouvelle constitution tunisienne et précisément dans l’article 41 relatif à la propriété intellectuelle, la polémique sur la garantie effective du droit du créateur à bénéficier des usufruits de ses oeuvres persiste car il demeure tributaire de son degré d’application notamment en matière de poursuites judiciaires.
Cela dit, cet article qui stipule que “le droit à la propriété est garanti et qu’il ne peut être remis en cause que dans les situations définies par la loi. La propriété intellectuelle est garantie”, a été qualifié de “vague et d’ambiguë” par certains artistes et professeurs en droit constitutionnel, dans leurs témoignages à l’agence TAP.
Le professeur en droit constitutionnel Sadok Belaid a souligné que cet article ne permet pas de distinguer clairement entre la notion de la propriété dans ses formes matérielles et celles intellectuelles dans leurs dimensions artistiques. Il a, à cet égard, précisé que la formulation constitutionnelle réservée à ce droit est vraiment concise et n’exhorte pas l’effort en termes de créativité intellectuelle. Il considère que cet article ne mentionne pas non plus la protection de la production culturelle et artistique.
Quant à Fadhel Moussa, professeur en droit constitutionnel et député à l’Assemblée Nationale constituante (ANC), il a indiqué que l’adoption de l’article 41 relatif à la propriété intellectuelle à la majorité de 168 voix, témoigne de l’engagement de l’élite politique quant à la promotion de la création culturelle. Outre l’engagement de l’Etat, selon ses dires, les professionnels devront débattre avec les structures concernées des moyens susceptibles de renforcer le système législatif et institutionnel régissant les droits d’auteur en Tunisie pour qu’ils soient respectés conformément aux normes internationales en la matière.
Il a souligné que les difficultés du marché culturel doivent être résolues par une sorte de “sécurité juridique” en accordant aux ayant droit une garantie sur l’exploitation de leur patrimoine ce qui contribuera à la promotion de la création et de la culture en Tunisie. L’objectif final, a-t-il signalé, est de parvenir à réaliser un bon équilibre entre “incitation” et “accès”. C’est à dire inciter à promouvoir les droits de propriété intellectuelle tout en prévenant les risques de restrictions à l’accès qui pourraient conduire à une sous-utilisation des oeuvres.
Exposant son point de vue, la cinéaste et députée à l’Assemblée Nationale Constituante (ANC) Selma Baccar a exprimé son regret de voir l’inscription du droit de la propriété intellectuelle paraître dans une forme “vague et imprécise” dépourvue de toute approche constructive ou interactive. Elle a rappelé, dans ce sens, qu’elle avait insisté à ce que le droit à la propriété intellectuelle soit inscrit dans l’article 42 ayant trait aux droits à la culture et à la liberté de création afin d’en faire une législation solide en faveur de la protection de la propriété intellectuelle, conformément aux normes internationales en la matière et pour faire face au piratage et à l’imitation.
Le scénariste et metteur en scène Moncef Dhouib a, pour sa part, confirmé l’absence de lois répressives relatives au plagiat et que les litiges relatifs au pillage des oeuvres artistiques sont traités dans le cadre des affaires civiles. Il a indiqué, dans ce contexte, que le vide juridique en ce qui concerne la protection des droits d’auteur contribue au vide culturel car le préjudice moral et financier subi par le créateur ne connaît pas de suite judiciaire.
Dans ce contexte, il est revenu sur l’affaire du one man show “Fi hak sardouk nraychou” objet d’un procès contre le comédien Lamine Nahdi. A cet égard, il a rappelé que le tribunal a reconnu ses droits d’auteur en tant que propriétaire de cette pièce de théâtre en ordonnant à Lamine Nahdi un dédommagement de 340 mille dinars, or, a-t-il précisé, ce verdict n’a jamais été exécuté.
De son coté, l’artiste Mokdad Shili, secrétaire général du Syndicat national des chanteurs professionnels a insisté sur le fait que l’inscription d’un article favorisant la protection de la propriété intellectuelle dans la nouvelle constitution tunisienne n’est pas en mesure d’assurer les droits moraux et financiers des créateurs. Pour défendre les droits d’auteur, il suffit, a-t-il signalé de lutter contre la contrefaçon et le piratage afin d’atténuer leurs retombées négatives sur l’industrie culturelle, et ce, à travers la création d’institutions culturelles fortes et autonomes qui veilleraient à une application ferme des lois et à leur actualisation de manière à hisser la place des artistes tunisiens et à enrichir de la sorte le paysage culturel tunisien.
Pour Houcine Dimassi, expert en économie et ancien ministre des finances, l’industrie culturelle est un secteur porteur en terme de rentabilité économique sauf que cette rentabilité, a-t-il expliqué, est tributaire de certaines mesures. Selon ses propos, l’Etat doit encourager l’investissement dans la culture et doit renforcer les lois prônant la promotion de la création. Comme la contrebande dans le marché parallèle, le piratage constitue une menace qui contribue à la régression de la production culturelle au niveau quantitatif et qualitatif en Tunisie, du moment où les droits moraux et financiers des artistes ne sont pas garantis, a-t-il avancé.
Il a fait remarquer que l’article 41 inscrit dans la nouvelle constitution tunisienne ayant trait à la propriété intellectuelle n’aurait pas d’impact réel en l’absence d’institutions culturelles autonomes oeuvrant pour la protection de la propriété intellectuelle, seul moyen de favoriser l’émergence d’un produit culturel national de qualité susceptible d’être exportable.
Pour le directeur général de l’Organisme Tunisien des droits d’auteur et des droits voisins, Youssef Ben Brahim a expliqué que la constitutionnalisation du droit à la propriété intellectuelle constitue en lui même un pas positif étant donné que la Constitution est une loi suprême. Il a tenu à signaler que le processus législatif à venir exige une coordination entre les différentes structures concernées dont l’Etablissement de la Télévision Tunisienne, la Haute Autorité Indépendante de la Communication Audiovisuelle (HAICA) et les associations oeuvrant pour la protection des droits d’auteur afin de jeter les bases aux futures dispositions juridiques garantissant la dignité du créateur et favorisent la promotion culturelle.