La Constitution de la Tunisie : La genèse difficile d’un texte à géométrie variable

Enclenché au lendemain des élections de 2011, le processus d’élaboration de la Constitution tunisienne post-révolution est au point d’être parachevé. S’appuyant sur un draft élaboré en date du 1er juin 2013, les élus de l’Assemblée nationale Constituante (ANC) sont parvenus suite à un marathon laborieux de réunions et de plénières à adopter le texte du projet de Constitution article par article.

Il incombe maintenant aux rédacteurs du projet de Constitution, d’examiner et d’adopter le texte intégral du projet en deux lectures avant qu’il ne soit promulgué par président de la République. En adoptant un texte comprenant un préambule et 149 articles, répartis sur 10 chapitres, le législateur constituant tunisien avait emprunté la voie des constitutions dites rigides.

Une rigidité formelle qui fait que ce texte ne peut être révisé que par un organe distinct, selon une procédure longue et complexe, différente de celle des lois ordinaires. A l’instar des constitutions modernes, le projet de Constitution a régi les domaines suivants : « les principes Généraux » (art.1 à 20), « les droits et les libertés » (21 à 49), « le pouvoir législatif (50 à 70), “le pouvoir exécutif” (71 à 101), “le pouvoir judiciaire » (102 à 124), les « instances constitutionnelles indépendantes » (125 à 130), le « pouvoir local » (131 à 142), la « révision constitutionnelle » (143 et 144), « dispositions finales » (145 à 147) et « dispositions transitoires » (148 et 149).

Plusieurs articles dudit projet ont été adoptés à l’unanimité, alors que d’autres ont fait l’objet de vives polémiques et de débats houleux mus parfois en des scènes de pugilat politique. En sa qualité de rapporteur général de la Constitution, Habib Kheder avait présenté la méthodologie à suivre lors de la discussion des différents volets de la Constitution : préambule et corps du texte de la Loi fondamentale. A cet effet, une lecture a été donnée au texte initial de chaque article, suivie de la présentation des propositions de modification, puis de l’audition des avis favorables aux amendements proposés et des avis contraires.

En cas de vote majoritaire favorable, la proposition sera retenue. Il sera ensuite procédé à l’adoption de la mouture remaniée. Faute de compromis, plusieurs articles ont été vus et revus, examinés et ré-examinés, adoptés et ré-adoptés. Les modifications apportées à ces articles étaient tantôt « mineures », tantôt « majeures » et parfois « totales », parfois « partielles ».

Un tel va-et-vient législatif reflète la complexité du processus de mise en place des institutions politiques dans un contexte de transition, tout comme il vient traduire de profondes antinomies juridiques et contradictions politiques. Le 3 janvier 2014, les constituants avaient entamé l’examen et l’adoption du texte du préambule. Dans son acception juridique, le préambule est un texte qui énonce les principes et les droits des personnes. Texte incontournable, le préambule vient définit la philosophie et la logique qui sous-tendent le texte de la Constitution.

Ce texte doit consacrer les valeurs universelles des droits de l’Homme, conformément aux déclarations et aux traités internationaux des droits des humains. L’incise du préambule du projet de Constitution dispose que les rédacteurs doivent adapter les nobles valeurs humaines et les principes universels des droits de l’Homme aux spécificités culturelles du peuple tunisien. Une Polémique est née de la rédaction du 5ème paragraphe du préambule relatif à « l’appartenance culturelle et civilisationnelle de la Tunisie ». Deux propositions d’amendement ont été présentées à ce sujet avant de parvenir à un compromis autour de ce paragraphe.

//Chapitre I : Les principes généraux //

La majorité des articles de ce chapitre ont été votés sans objection et à l’unanimité. Seul l’article 6 relatif à la liberté de conscience et de culte a fait l’objet de plusieurs propositions d’amendement avant son adoption. La déclaration de l’élu du Mouvement Ennahdha Habib Ellouze en était l’étincelle. Ce dernier avait taxé le député Mongi Rahoui « d’ennemi de l’Islam ».

Depuis, plusieurs propositions d’amendement de l’article 6 ont été avancées, pour criminaliser les accusations d’apostasie, l’atteinte au sacré et les incitations à la haine et à la violence, ainsi que pour interdire l’instrumentalisation des mosquées à des fins politiques. Après de longues tractations et tiraillements, les membres de l’ANC ont fini par adopter, le 23 janvier 2014, de cet article, à une majorité de 152 voix contre 15 objections et 16 abstentions.

La nouvelle version de cet article prévoit que « l’Etat est le garant de la religion, de la liberté de conscience et de croyance et du libre exercice des cultes. Il s’engage à garantir la neutralité des mosquées et des lieux de culte et à les placer à l’abri de toute instrumentalisation partisane. L’Etat s’engage, également, à diffuser les valeurs de modération et de tolérance et à protéger le sacré contre toute atteinte. Il s’agit aussi de proscrire les accusations d’apostasie et d’incitations à la violence et d’y faire face ».

// Chapitre IV : Le pouvoir exécutif//

Bien qu’il soit adopté à 111 voix après amendement, l’article 74 a, quant à lui, suscité une large polémique. L’opposition mais aussi Ettakatol et le Congrès pour la République avaient contesté cet article qui ne fixe pas l’âge de l’éligibilité et tolère la candidature des binationaux. Après amendement, cet article dispose que « le candidat à la présidence de la République doit avoir au moins 35 ans le jour de dépôt de sa candidature. Il s’engage à abandonner sa deuxième nationalité une fois élu ». Des modifications ont été également apportées aux articles 81 et 82 du projet de Constitution. Ces articles portent sur la compétence du président de la République en matière de promulgation et de publication des lois.

// Chapitre V: le pouvoir judiciaire//

Dédiés à à la mission dévolue au pouvoir judiciaire, à l’immunité accordée au magistrat, au caractère exécutoire des décisions de justice, les articles 102 et 104, 111, ont subi des modifications, en plus des articles 118, 119 et 120 qui ont été ré-adoptés après amendement. Ces articles portent sur la composition de la cour constititutionnelle, sur les personnes habilitées à saisir la Cour constitutionnelle ainsi que sur le domaine d’intervention de ladite cour.

//Le projet de Constitution : Quelles réactions ? //

« La Constitution tunisienne est une Constitution dynamique », a estimé le président de l’Assemblée nationale constituante Mustapha Ben Jaafar. Elle jette les fondements d’un Etat moderne, consacre les libertés et répond aux objectifs de la révolution ». Avant même l’adoption du texte intégral de la Constitution tunisienne prévue, ce dimanche, 26 janvier 2014, le Courant « Al-Mahaba » avait déjà dit son dernier mot.

« Ses députés vont répondre présents à la séance du vote pour dire « non » à la Constitution », selon un communiqué du parti. « La nouvelle Constitution a négligé les revendications sociales des acteurs de la révolution, de même qu’elle n’a pas adopté l’Islam en tant que source de la législation », a-t-il justifié.

Pour le constitutionnaliste Yadh ben Achour, le point fort de ce projet est l’article 49 qui interdit tout amendement à même de permettre de porter atteinte aux acquis des droits de l’Homme et aux libertés. Elaboré en 800 jours, le projet de Constitution ne peut être adopté en 2 jours, a lancé Kais Saied, faisant remarquer qu’il s’agit d’un texte qui fait toujours l’objet de critique.

« Ce texte juridique a perdu sa finalité d’instrument de liberté pour devenir un acte de légitimation du pouvoir », a-t-il regretté.

Le juriste Sadok belaid estime, lui aussi, que « le projet de Constitution reflète la « schizophrénie » de ses rédacteurs. Quant à la présidente de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (UTICA), elle a noté que « ce document regroupe plus de 40 articles garantissant les différents droits humains, dont l’éducation et la santé. En revanche, il n’englobe aucun article qui encourage le travail ou l’initiative privée ».

Ainsi, elle a jugé que « cette nouvelle constitution consacre la mentalité d’assisté et « ignore la valeur du travail » qui, a-t-elle dit, constitue l’une des principales revendications de la révolution. Pour le porte-parole du parti « Ettahrir », la nouvelle Constitution ne durera pas longtemps, dans la mesure où ses rédacteurs ont appréhendé la question de l’Islam avec légèreté et méprisé la révolution ».

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