17 décembre 2010- 17 décembre 2013 : Le Tunisien a bien changé en trois ans

On dit que si l’on veut savoir où va une société, rien n’est meilleur que d’interroger un chauffeur de taxi. Voici le témoignage d’un taximan qui dit avoir vécu des «vertes et pas mûres» depuis le 17 décembre 2010.

Am Amor a soixante-douze ans dont quarante-cinq ans passés derrière le volant de son taxi. «Lorsque j’ai commencé à travailler, en 1966, Tunis était peuplée de beaucoup de Français, d’Italiens, de Maltais et de Tunisiens de confession juive», rappelle-t-il. C’est dire qu’il a vu évoluer la ville à travers bien des époques.

Et son constat est on ne peut plus catégorique. Il affirme en effet haut et fort et du haut de son mètre soixante-dix que le Tunisien a bien changé depuis la révolution du 17 décembre 2010. «Et c’est de mal en pis».

Engoncé dans son vieil anorak bleu, Am Amor souligne que le Tunisien est devenu anarchique. «La conduite est un indicateur important du comportement de la personne», soutient-il. Et de ce côté des choses, le conducteur tunisien ne respecte pratiquement rien du Code de la route.

Feux rouges, balises des sens interdits, de céder le passage,… le Tunisien «ne respecte plus rien». Et lorsque vous le lui faites savoir, il «peut vous insulter et même vous violenter».

«Le client m’avait donné en fait la moitié du billet plié en quatre. Il m’a eu»

Mais, il n’y a pas que ça. Et Am Amor évoquera avec vous des scènes de tentatives de «braquages». «Un soir dans une banlieue de Tunis, deux jeunes ont tenté de me dérober de l’argent. L’un d’entre eux, saoul, a tenté de me déshabiller. L’autre a jeté des pierres sur mon pare-brise. Heureusement que j’ai une assurance tous risques. Certes, cela a toujours existé. Mais, ce n’était pas un phénomène». Conclusion: il ne s’aventure plus «au-delà de 20 heures».

Et les escroqueries? Elles ont augmenté elles aussi d’un cran. Et Am Amor de vous raconter des vertes et des pas mûres. Comme lorsqu’un client, «costume noir, cravate rouge et pochette assortie» lui a tendu un billet de dix dinars et reçu en retour six dinars (la course a été facturée à quatre dinars). Mais une fois le client parti, Am Amor se rend compte que le billet de dinars n’en était pas un: c’était la moitié d’un billet. «Le client m’avait donné en fait la moitié du billet plié en quatre. Il m’a eu», lance-t-il. «Un autre m’a remis cent millimes à la place d’une pièce de cinq dinars et reçu la monnaie pour une course de deux dinars huit cents millimes. Habille, il a mis la pièce de cent millimes dans ma main alors qu’il m’avait montré une pièce de cinq dinars placée au-dessus», ajoute-t-il.

La mendicité a explosé

Am Amor d’affirmer qu’il circule tous les jours à Tunis. Et qu’il observe de ce fait plus qui quiconque les changements profonds dans le tissu social. Pour lui, le Tunisien se complaît, à ce propos, dans un certain «assistanat». «Les gens ne veulent plus travailler. Beaucoup souhaitent rester chez eux et gagner de l’argent», assure-t-il.

Exagère-t-il? Pas vraiment. Il estime que les gens s’installent dans le «farniente», à l’instar de cette «mendicité» qui a «explosé». Et là aussi l’escroquerie a fait de «grands pas en avant». «Figurez-vous que beaucoup font mine d’être des handicapés ou vous raconter la vieille histoire du malheureux père de famille qui a perdu son emploi ou qui va subir une opération chirurgicale. L’un d’entre eux a prétendu être de Hajeb Al Ayoun. Je l’ai interrogé sur son nom étant moi-même originaire de cette commune de Kairouan. Il a hésité et pris la poudre d’escampette», regrette-t-il.

Et l’absentéisme? «Je n’ai pas vu ces derniers temps un employé pressé de rejoindre son lieu de travail. L’un d’entre eux m’a demandé, alors qu’il était 9 heures 45, de l’arrêter à quelque cinquante mètres de son travail afin qu’il prenne son petit-déjeuner. Et lorsque je lui ai demandé si son patron ne le grondait pas, il m’a tout simplement dit : “S’il n’est pas content, on lui dira «Dégage!»“. Car depuis la Révolution, les Tunisiens sont libres!»

«Mais jusqu’à quand?», se demande Am Amor, tout en appuyant sur son accélérateur.

Article publié sur WMC