Enfin le dialogue national a débuté. Après moult tergiversations, atermoiements et hésitations, Ali Larayedh s’est trouvé contraint à accepter l’application de la feuille de route dont la première phase prévoit l’engagement du gouvernement à démissionner. Alors que la veille il annonçait sa disposition à “abandonner” ses fonctions, utilisant à escient ce verbe qui n’existe dans aucun dictionnaire juridique pour ne pas prononcer le mot fatidique de “démission”, le voilà qu’il admet de dire ce mot.
Après avoir fait de la “concomitance” entre les différentes phases une condition de cet “abandon”, il ne retire pas cette “concomitance” mais il en fait un souhait, ce qui constitue un changement radical.
Comment expliquer cette volte-face. Sans doute Larayedh, qui tenait tant à son fauteuil et derrière lui la majorité d’Ennahdha et la totalité du CPR, a-t-il été forcé à changer d’attitude devant des indices qu’il ne pouvait plus ignorer? Ce n’est pas tant la situation économique catastrophique, ni le climat politique délétère, ni l’état de la société précaire. Cela, il le sait et ça n’a pas l’air de l’émouvoir outre mesure. Ces indices il les a recueillis au cours des quelques heures précédentes et ils sont, à mon avis, de trois ordres.
– Le premier c’est l’ampleur des manifestations de l’opposition du 23 octobre. Après avoir tenté de les minimiser sur la foi de coups de téléphone qui se voulaient rassurants, il a dû lire les rapports qui lui ont indiqué clairement que son gouvernement est largement minoritaire dans l’opinion.
– Le second indice c’est le cinglant désaveu de l’opinion à sa propre personne. Puisque son intervention sur la chaîne nationale 1 n’a recueilli que moins de 10% en termes d’audimat alors que la prestation de Béji Caid Essebsi sur une chaîne privée Nessma a été regardée par plus de 70% des téléspectateurs. Les gens sont lassés de lui alors qu’ils attendaient le président de Nidaa Tounés comme un Messie; un sauveur.
– Le troisième et certainement le plus déterminant c’est la colère de la population; une colère noire contre le parti dominant de la Troika et contre le gouvernement après les actions terroristes de Goubellat, Sidi Ali Ben Aoun et Menzel Bourguiba qui ont fait neuf “chouhadas” tués dans le dos.
Les ressentiments de la population et des femmes en particulier contre ces actes inqualifiables ont été dirigés contre Ennahdha accusé d’avoir permis à ces terroristes de prospérer. Il suffisait pour s’en convaincre de voir la foule des gens qui ont accompagné ces jeunes gardes nationaux à leur dernière demeure. Leurs parents ont refusé la présence de quelque responsable que ce soit voulant que leurs fils soient pleurés par des anonymes.
L’émotion était grande partout et il suffisait d’avoir écouté sur les radios des femmes pleurer à chaudes larmes ces héros comme s’ils étaient leurs propres fils. L’union sacrée de l’ensemble des tunisiens autour de ces martyrs et de leur corps ; les forces armées et de sécurité a été sans doute le “séisme” qui a résolu Larayedh à changer d’attitude, d’autant que les forces de sécurité comme l’armée au lendemain du 17 décembre 2010 ont pris le parti du peuple contre les gouvernants obligés à réviser leur manière d’agir.
Maintenant que le dialogue a été amorcé selon la feuille de route, sommes-nous au bout de nos peines?
Je ne le crois pas.
L’hypothèque Larayedh étant levée, ce sont maintenant les députés de l’ANC, d’Ennahdha et du CPR, qui vont tout faire pour faire traîner les choses en longueur. Ils ont déjà annoncé la couleur en disant qu’ils détiennent le “pouvoir légitime” et qu’ils n’acceptent pas d’être bousculés pour qu’on vienne leur imposer des décisions ” arrêtées en dehors de la coupole du Parlement”.
N’oublions pas la pétition des “112” c’est à dire de la majorité absolue de l’ANC publiée il y a quelques semaines comme pour dire que les signataires pouvaient faire échouer le dialogue national. Car il leur revient de voter la confiance au gouvernement, d’élire l’ISIE, d’approuver la constitution et la loi électorale. Et en plus dans des délais définis à l’avance.
Ce ne sera pas de tout repos.
J’ai les plus vives appréhensions sur la volonté des députés quant à l’aboutissement du dialogue national. J’espère avoir tort.
Raouf Ben Rejeb