On remarque dans la «feuille de route» du quartet (Ugtt – Utica – Ltdh – Onat « Ordre national des avocats de Tunisie ») trop d’incohérences et de bizarreries qui la rendent louche. Récapitulons pour essayer de comprendre.
* Ce quartet (ou quatuor) est créé, parrainé et dirigé par l’Ugtt.
* Cette feuille de route est rédigée par le bureau «national» de l’Ugtt, par son n° 2, le secrétaire général adjoint de l’UGTT, Bouali Mbarki, paraît-il.
A- L’OPPOSITION
L’Ugtt continue et consolide son rôle d’opposant politico-idéologique au détriment de son rôle syndicaliste. En fait, l’Ugtt applique une très vieille recette salafiste :
«Les anarchistes seront pour la plupart avec la révolution. Ils seront même partout, comme ils le furent en Russie, les premiers au danger. Mais une chose est de se battre, une autre de penser, d’exercer une influence, d’éclairer les esprits. A cette dernière tâche ils feront défaut s’ils n’acceptent pas consciemment, sans renoncer à leur idéalisme propre, toutes les nécessités de la révolution» (Victor Serge juillet-août 1920).
Ainsi s’installa l’anarchie en Tunisie, comme il se doit, dès le 15 janvier 2011. C’est l’opposition anarchiste dans tous les sens du terme et dans toutes ses dimensions. L’Etat existait mais était impuissant et absent de gré ou de complicité. On entendait les «théoriciens» de tous genres et de toutes moutures et on voyait les pratiquants du Crime individuel et organisé.
Ce fut une vraie pagaille organisée et orchestrée. Comme dirigeants de cette anarchie, émergèrent l’ugtt, le « poct », le « watad » et d’autres groupuscules similaires. Émergèrent aussi des individus et des groupuscules venus du tréfonds de l’Histoire, comme les premiers.
Où étaient les 150 partis cachetés, agrées et officialisés, et surtout ceux de l’opposition «Classe». Les plus «grands» d’entre eux, regardaient et laissaient faire apportant leur caution «officielle» à cette anarchie, en attendant les résultats des élections.
Les élections du 23 oct 2011 ont balayé tous les activistes, anarchistes et autres «laïcs». Elles donnèrent la majorité dans la nouvelle constituante à trois partis qui formèrent le gouvernement.
A partir de nov 2011 c’est «Action directe» :
«Le mouvement anarchiste russe connaît son apogée en 1917 avec l’existence de 255 formations dans 180 localités différentes. Les anarcho-syndicalistes, dont le nombre est évalué à 5 000 adhérentes et adhérents en Ukraine s’inspirent des méthodes de la CGT française : action directe, sabotage, grève générale, etc» (Alexandre Skirda, Les Anarchistes russes, les soviets et la révolution de 1917).
Le pays est paralysé, étouffé, ensanglanté. L’assassinat de Belaïd couronna «action directe, sabotage, grève générale, etc.».
L’opposition se réorganisa peu à peu avec l’apparition de pôles nébuleux idéologiques : celui des mêmes anarchistes extrémistes «russes» patronné par l’Ugtt, celui des «monarchistes» et affairistes rassemblés par Essebsi, et celui des «destouriens-rcdistes».
Tous mirent la main pour «faire tomber le gouvernement». Aucun résultat et «action directe» perpétra son second assassinat celui du député Mohamed Brahmi le 25 juillet 2013. C’est une hétéroclite coalition d’opposition que nous verrons dès lors.
Arriva le putsch militaire en Egypte qui déposa et emprisonna le président Morsi nouvellement élu au suffrage universel et les esprits s’échauffèrent en Tunisie. Des élus de la Constituante sont en sit-in ouvert, Ben Jaafar ferme à clé le palais du Bardo comme si c’était son cabinet privé. Hamma Hammami crée «tamarrod», des inconnus créent le «Fns » (font national du salut), un «quartet» musical composé de H. Abbassi (ugtt), W. Bouchamoui (utica), Abdessatar Ben Moussa (Ligue tunisienne des droits de l’Homme) et Mohamed Fadhel Mahfoudh (Ordre national des avocats de Tunisie), vit le jour; quartet dirigé par Le Maestro Ugtt, il prend place à l’Amphithéâtre. Le spectacle peut commencer.
Du 15 janv 2011 à cette date, personne ne parlait de «dialogue national».
B- LE DIALOGUE NATIONAL
C’est le mardi 17 septembre 2013 que l’Ugtt, au nom du quartet rédige et publie «sa feuille de route». Dans sa livraison initiale, cette «feuille», l’hétéroclite coalition d’opposition se définit trois objectifs : «le parachèvement des travaux de l’Assemblée nationale constituante (ANC), la formation d’un nouveau gouvernement de compétences nationales indépendantes et la poursuite du dialogue national». Et voilà, on parle , enfin, de «dialogue national».
Ce qui est bizarre, c’est l’ordre établi des 3 objectifs. D’après le texte, c’est d’abord «le parachèvement des travaux de l’Assemblée nationale constituante (ANC)». Si la constituante a clos ses débats et travaux, c’est que la constitution et la loi électorale sont prêtes. On va donc aux élections qui donneront le président et le parlement. De quoi va-t-on «dialoguer nationalement», alors ? Le but suivant nous l’explique.
«Formation d’un nouveau gouvernement de compétences nationales indépendantes», c’est-à-dire essentiellement du quartet et plus particulièrement de l’Ugtt. Pourquoi ? Pour superviser les élections car, selon eux, le gouvernement actuel les falsifiera.
Peut-être, disons sûrement même, mais qui nous garantit que ce quartet ne fera pas plus que de falsifier ces élections ? Eux qui ont toujours contribué à leurs falsifications depuis 60 ans ? Eux dont les élections de leurs bureaux nationaux et régionaux sont toujours falsifiés ? Eux qui sont ouvertement pour la dictature ? Mais alors, si ce sont eux au pouvoir, de quel «dialogue national» parlent-ils ? C’est leur 3ème objectif.
«La poursuite du dialogue national» ! On ne peut saisir la vérité du projet «quartet» et sa vraie finalité qu’en lisant le reste de la «feuille», les actes explicatifs.
1- «Parachèvement des travaux de l’ANC :
– reprise des travaux de l’ANC pour finir l’examen des questions ci-dessous dans un délai ne dépassant pas 4 semaines à compter de la date de la première séance du dialogue national;
– choix des membres de l’Instance supérieure indépendante des élections (ISIE) et mise en place de cette instance dans un délai d’une semaine;
– élaboration et adoption du code électoral dans un délai de 2 semaines;
– mise en place d’un calendrier fixant la date des prochaines élections dans un délai de 2 semaines à compter de la date de l’installation de l’ISIE;
– adoption de la nouvelle constitution dans un délai maximum de 4 semaines en recourant à un comité d’experts pour accélérer cette opération».
Clair : il n’est plus question de «dissoudre la constituante». A sa charge de jouer enfin le seul rôle pour lequel les tunisiens l’a élue.
Bien : réponse adéquate à l’attente harassante de tous les tunisiens quoique «4 semaines à compter de la date de la première séance du dialogue national» est un peu serré mais possible. Au final, tout doit être fin prêt 13 semaines «à compter de la date de la première séance du dialogue national», c’est-à-dire 3 mois et une semaine.
Dans ce premier objectif, il n’est pas mentionné que la constituante sera dissoute et que les élections auront lieu juste après ! C’est logique ? NON.
2- Formation du nouveau gouvernement :
– Parallèlement à la reprise des travaux de l’ANC, commencent les concertations pour choisir une personnalité nationale indépendante chargée de former un nouveau gouvernement dont le nom est annoncé dans un délai d’une semaine;
– les concertations menées par cette personnalité doivent aboutir, dans un délai maximum de 2 semaines, à la formation d’un nouveau gouvernement;
– le gouvernement actuel doit obligatoirement présenter sa démission dans un délai maximum de 3 semaines à compter de la date de démarrage de la première séance de dialogue national;
– la formation du nouveau gouvernement est approuvée par L’ANC».
Gris. Vous avez compris ? IL N’Y AURA PAS d’ELECTIONS.
Vous avez saisi pourquoi le quartet n’annonce pas la dissolution de l’actuelle constituante ? Il a besoin de légalité et seule l’actuelle constituante peut la lui fournir.
LE PLAN «Q»
La pierre angulaire :
«concertations pour choisir une personnalité nationale indépendante chargée de former un nouveau gouvernement» !!
Cette «personnalité nationale indépendante » ne peut être que du quartet, précisément de l’Ugtt ou « naturellement » gagné à leur cause et à leur idéologie.
Et, pour la légalité institutionnelle «la formation du nouveau gouvernement est approuvée par L’ANC». Logique ? Non,
UBUESQUE ! Et si L’ANC n’approuve pas ?
3- Dialogue national :
– les acteurs politiques s’engagent à poursuivre le dialogue national parrainé par le quartet en vue de parvenir à un consensus sur les points objets de litige et qui entravent le parachèvement et la réussite de la période de transition».
Sombre. Vous avez trouvé la «finesse» musicale de ce «Q» ?
Le vrai «dialogue national» ne commencera que quand le quartet prendra «démocratiquement» le pouvoir. Nous partons, donc, pour une autre «période de transition» gouvernés, cette fois par l’Ugtt, l’Utica, Hamma Hammammi, Basma Khalfaoui, S.Bettayeb, Mongi Rahoui, Mahmoud Baroudi, Ben Ticha et consorts! Les avocats et les juges auront champ libre plus vaste qu’il n’était sous B-B. Combien durera cette période ?
Voyons, c’est «le dialogue national» qui décidera, sinon à quoi servirait-il ?
C- L’IMPASSE
* «Les représentants de 24 partis politiques, dont Rached Ghannouchi pour le Mouvement Ennahdha, Mouldi Riahi pour Ettakatol, Béji Caïd Essebssi pour Nida Tounes et Hamma Hammami pour le Parti des travailleurs, se sont ensuite succédé sur la tribune pour la signature solennelle de la feuille de route» (huffpostmaghreb.com).
L’incohérence la plus absurde de la «feuille de route» est qu’elle ne parle jamais de la présidence de la république et du rôle institutionnel du président Marzouki. Sachant que la loi en application exige que le président de la République nomme par décret le chef du gouvernement qui aura ensuite l’approbation de l’ANC, comment le quartet réussira-t-il à imposer sa «personnalité nationale indépendante» ?
Le CPR de Marzouki n’étant pas signataire, c’est le barrage principal à ce «dialogue».
* «Le Premier ministre Ali Laarayedh a de son côté promis que “nous n’allons trahir ni les Tunisiens ni le dialogue”, sans mentionner toutefois la démission de son gouvernement prévue par la feuille de route, à la déception de plusieurs opposants» (idem).
En fait, la démission du gouvernement actuel n’est pas à l’ordre du jour.
Nous saluons le président Marzouki de ne pas plonger dans ce marécage en signant cette «feuille de route Q» car c’est sa seule décision réfléchie et responsable à ce jour. Nous saluons le chef du gouvernement Laarayedh car il n’a pas à se plier à un dictat d’une minorité et de politicards qui ne représentent que leurs petites personnes et leurs intérêts personnels.
* Comme on le constate, plusieurs partis et organisations, et non des moindres, ont tourné le dos à cette pièce mascarade.
Impasse totale, donc.
4- La vérité «NUE»
ACTE I : le 15 avril 2013 à Dar Edhiaffa à Carthage
C’est une initiative revendiquée par la présidence de la république pour un « dialogue national » pour contrecarrer celle de l’ugtt et «sortir de l’impasse», comme ils le prétendent tous.
«Le cercle de ses participants s’est élargi au fur et à mesure, mais le rassemblement de toutes les forces politiques, et le ralliement de l’incontournable UGTT, apparemment conditions sine qua non au consensus souhaité, n’ont pas eu lieu. La centrale syndicale a décliné l’invitation d’une délégation constituée d’al-Joumhouri, Ennahdha, alliance démocratique et Nida Tounes, de rejoindre Dar Edhiaffa.
L’UGTT a dès le départ vu d’un mauvais œil ce dialogue, en le considérant comme une tentative d’avorter le sien organisé en octobre 2012, dont les recommandations sont restées depuis lettres mortes. Elle a réitéré son attachement à son initiative et signifié à qui veut l’entendre qu’elle compte en organiser le deuxième round.
Par solidarité avec l’UGTT, Nida Tounes a été absente de la séance de dialogue d’hier, et annonce qu’elle suspend sa participation, estimant que l’initiative de l’UGTT est le cadre le plus approprié pour la tenue d’un tel dialogue.
Il est clair que le mouvement de Béji Caïd Essebsi a cherché à faire tourner les choses à son avantage, en prenant en défaut les participants à ce dialogue, notamment Ennahdha et le CPR. Il a voulu prendre l’ascendant et se placer du côté de l’UGTT, celle qui est bien partie pour imposer ses conditions, mettre en avant son initiative, autour de laquelle, elle compte rassembler partis politiques, organisations et composantes de la société civile» (gnet.tn).
Il est aussi clair que ce n’est qu’une course au pouvoir que se livrent ces antagonistes.
ACTE II : La contre-offensive de l’Ugtt.
«Hassine Abassi a déclaré ce mardi sur shems que Rached Ghannouhi lui a exprimé ses dispositions de participer au congrès national de dialogue, dans sa deuxième partie. … Tout laisse présager que la centrale syndicale va avoir raison de ceux qui ont boycotté le dialogue dans son premier épisode, et finira par contraindre toutes les parties à s’asseoir à la même table de négociations sous sa férule. L’UGTT qui n’est pas prêt à céder une once de son rôle politique aurait ainsi marqué des points» (gnet.tn).
C’est ainsi que naquirent «le quartet » et «le dialogue national» de l’Ugtt. Bien sûr, «Nida Tounes l’a compris, et s’est précipité de se ranger à ses côtés». Et H.J. qui a écrit l’article de gnet de conclure très clairement : «A moins d’un revirement, les consensus attendus n’émaneraient ni de la troïka, ni de l’opposition, mais de la centrale syndicale…Il n’est pas difficile de dire qui commande en Tunisie ?».
D- LECTURE DÉSORDONNÉE DE DROITE A GAUCHE ET VICE VERSA
* Ce «plan Q» de l’Ugtt , n’est qu’une ultime tentative de prendre le pouvoir ou du moins d’y placer ses hommes pour toujours. Ayant échoué malgré toutes ses initiatives à prendre le pouvoir par la force «de la rue», de l’armée ou d’une intervention étrangère, l’Ugtt fait son putsch «civil». Une fois assise, cherchez qui la délogera.
* En fait, sa «feuille de route» n’est qu’un DICTAT de la coalition terroriste rouge.
* Il est impensable que R. Ghannouchi et son staff n’aient pas saisi le but de ce round du «dialogue national». L’explication la plus banale est que cette touffe d’épines dite «dialogue national» cache la forêt de cactus géants : une coalition entre Ennahdha et l’Ugtt à l’instar de la précédente en 1955 entre Bourguiba et l’Ugtt. On voit où cela mènera le pays.
* Tout ce scénario n’est possible qu’à la condition sine qua non de déposer le président Marzouki. Cette déposition ne peut se faire que par l’armée, la police n’en a plus les moyens.
* En supposant que ce plan se réaliserait, comment aura-t-on un gouvernement efficace avec le ramassis hétéroclite de l’opposition signataire ?
* Le quartet a-t-il mis en compte les laissés pour compte des partis et organisations ? Ne retrouverons-pas la même anarchie et le même blocage total de l’économie par «action directe» menée, cette fois, par la majorité ? Ou est-ce que les prisons seraient remplies et des partis et organisations dissouts comme en Egypte et comme du temps de Bourguiba-B Ali ?