L’Assemblée nationale constituante a tenu jeudi une séance plénière de dialogue avec le gouvernement sur la situation générale dans le pays. Les ministres de l’Intérieur, Lotfi Ben Jeddou, et de la Justice, Nadhir Ben Ammou, se sont prêtés aux questions des députés sur le dossier de l’assassinat du constituant Mohamed Brahmi, tué par balles le 25 juillet dernier, ainsi que sur les développements sécuritaires, la situation dans l’institution judiciaire et les droits de l’Homme.
La question des procès intentés à des journalistes et à des cadres sécuritaires est elle aussi revenue de nombreuses fois dans le débat. Les députés se sont interrogés sur le degré d’indépendance du pouvoir judiciaire et de l’institution sécuritaire vis-à-vis du monde politique, surtout après les déclarations et révélations récurrentes au sujet de supposés dossiers sensibles se rapportant à la sécurité publique.
Ils ont plaidé, à ce propos, pour une justice indépendante et neutre et pour une presse professionnelle, censés fonctionner avec un certain recul par rapport aux tumultes politiques. Le député et chef du groupe d’Ennahdha Sahbi Atig a fait part, dans son intervention, de l’opposition de son parti à l’emprisonnement des journalistes et à toute peine privative de liberté à leur encontre pour des infractions liées à la liberté d’expression.
Il a estimé nécessaire de finir au plus vite la rédaction de la Constitution, la mise en place de l’instance des élections et la promulgation de la loi électorale. Atig a également critiqué la participation de certains magistrats à « des mouvements protestataires réclamant la chute du gouvernement et la dissolution d’institutions légitimes ».
Les syndicats sécuritaires « s’occupent de question sensibles et divulguent des informations susceptibles de conduire à la gabegie », a-t-il déploré. De son côté, le député Tahar Hmila a avancé que la justice est encore « sous l’emprise de l’ancien ministre de la Justice Noureddine Bhiri » ce qui a, selon lui, provoqué « une crise désastreuse » en Tunisie, « conséquence des instructions données et de l’intimidation des magistrats ».
Il a apporté « un soutien total » à ce qu’il a appelé « la révolution des journalistes », « au nom de la défense de la liberté d’expression en tant qu’un des principaux acquis de la révolution ». Quant au député Abderrazak Khallouli (groupe Liberté et dignité), il a considéré que « l’ingérence du ministère de la Justice dans le pouvoir judiciaire se poursuit de toute évidence comme en témoignent des preuves et des écritures », estimant que l’affaire Zied El Héni est « une affaire fabriquée de toutes pièces du point de vue procédural ».
La députée du mouvement Ennahdha Salma Sarsout a souligné, elle, la nécessité d’une « enquête conjointe des ministères de la Justice et de l’Intérieur sur ce qui s’est passé mercredi au Tribunal de première instance de Tunis », en référence au comportement des agents de l’ordre lors de la comparution d’un syndicaliste parmi les leurs devant un juge d’instruction. Le député d’Ennahdha Habib Khedher a demandé à savoir s’il y a des règles appliquées par la police pour entrer dans les mosquées, s’interrogeant d’autre part sur « le rapport entre action syndicale et obligation professionnelle ».
Il a aussi réclamé plus d’éclaircissements sur les circonstances de l’évasion d’un certain nombre de détenus de la prison de Gabès. La députée du mouvement Al-Mahabba Rim Thayri, a reproché au ministère de l’Intérieur de ne pas avoir pris au sérieux des renseignements communiqués par une agence de renseignements de renommée mondiale, en référence à l’alerte adressée par la CIA américaine au ministère au sujet de préparatifs en cours en vue de l’assassinat du député Mohamed Brahmi, cité nommément.
Pour le député CPR Amor Chetoui, l’exfiltration de ce document « a permis de constater des négligences aux niveaux de l’analyse et de l’évaluation de l’importance des documents de renseignements ».
« Celui qui a tué Brahmi fait partie des forces hostiles à la révolution », a-t-il déclaré. Les interventions des députés au cours de la séance matinale ont également porté sur la question des tractions en cours avec le quartette des parrains du dialogue national. Certains d’entre eux ont fait part de la position de leurs formations respectives concernant la feuille de route de sortie de crise proposée mardi par le quartette. Le débat qui se poursuivait encore jeudi en milieu de journée, devait se focaliser en particulier sur la question de savoir pourquoi le ministère de l’Intérieur, pourtant alerté suffisamment à l’avance de préparatifs en cours pour l’assassinat du député Mohamed Brahmi, n’avait pas pris les dispositions conservatoires pour déjouer l’attentat.
Dix jours avant le meurtre, la structure spécialisée en avait reçu notification, comme l’atteste un document officiel “fuité” qui continue d’alimenter la polémique et les spéculations. Les circonstances et les suites de l’assassinat de Chokri Belaïd seront également au centre du débat. Le ministre des Droits de l’Homme et de la justice transitionelle Samir Dilou était assis sur le banc du gouvernement aux côtés des ministres de la Justice et de l’Intérieur. Ce dernier était assisté notamment de plusieurs membres de la haute hiérarchie sécuritaire, en l’occurrence le directeur général de la Sûreté nationale, Wahid Toujani et le commandant de la Garde nationale, Abdelhamis Sakouhi, et le porte-parole du ministère de l’Intérieur, Mohamed Ali Laroui.
124 députés ont pris part à cette séance plénière présidée par la première vice-présidente de l’Assemblée, Mehrzia Labidi. Par contre, 50 députés ont laissé leur siège vide. Les travaux ont commencé avec 50 minutes de retard. Les ministres de l’Intérieur et de la Justice figurent parmi les membres indépendants de l’actuel gouvernement, rappelle-t-on.