Tunisie – Terrorisme : La police et la justice entre le marteau du devoir et l’enclume du pouvoir

«Nous avons envoyé nombre de correspondances aussi bien à Noureddine Bhiri, ancien ministre de la Justice, qu’à Nadhir Ben Ammou, ministre en fonction aujourd’hui, pour les prévenir quant à de sérieuses présomptions touchant des cadres et même des hauts commis au ministère que nous soupçonnons d’être impliqués dans la couverture de personnes mouillées dans des actes terroristes. Personne n’a réagi par rapport à cela.

En ce qui nous concerne, nous estimons que la Tunisie passe par une phase délicate et dangereuse. Le terrorisme pour lequel elle n’était tout juste qu’une zone de passage s’y installe de plain droit. La Tunisie, reconnaissons-le, est devenue aujourd’hui une base arrière pour les organisations terroristes qui se sont déplacées de l’Algérie -trop risquée pour eux- à une Tunisie plus “clémente“. Devons-nous faire comme si de rien n’était? Notre devoir en tant qu’agent de l’ordre est de veiller sur la paix, la sécurité et la stabilité de notre pays, nous somme d’ailleurs doublement, en tant que responsables sécuritaires et en tant que citoyens», a tenu à préciser Montassar El Matri, secrétaire général des Syndicats de l’Union nationale des syndicats des forces de sécurité (UNSFST).

Montassar El Matri, Sahbi Jouni -responsable juridique- et Imed Ben Khlifa –porte-parole du syndicat, comparaîtront respectivement, les 17, 18 et 19 septembre, et suite à leurs allégations touchant des magistrats concernant la relaxe de terroristes, en tant que témoins devant le juge d’instruction du Bureau n°2.

En réaction, Raoudha Laabidi, présidente du Syndicat des magistrats, a condamné les propos incriminant des juges dans le terrorisme sans qu’ils soient étayés par des preuves solides: «Personne ne doit être épargnée dès lors qu’il s’agit de la sécurité de notre pays, qu’il s’agisse d’un magistrat, d’un haut commis de l’Etat ou même d’un ministre. Nous estimons toutefois que chaque institution et chaque acteur doit agir dans le cadre des prérogatives qui lui sont attribuées. Pour nous, la primauté de la loi doit prévaloir quel que soit le sujet visé. Les policiers font des investigations et arrêtent les présumés innocents et il revient au juge de les accuser ou de les innocenter. Il ne faut pas user de l’argument de protéger nos concitoyens contre le terrorisme pour s’octroyer des droits qui ne nous appartiennent pas. La police n’aura pas carte blanche pour manipuler le droit et les lois à sa guise sous prétexte de lutte contre le terrorisme et les magistrats qui sont incriminés dans des actes de complicité, de relaxe ou de couverture de  terroristes menaçant réellement la stabilité et la sécurité nationales doivent être sanctionnés et dénoncés. Mais il ne faut pas citer des noms sans apporter les preuves adéquates et convaincantes. Tout doit être débattu et décidé dans un cadre légal».

Raoudha Laabidi ne manque pas d’attester que le Syndicat des magistrats est parfaitement conscient du danger que représente un parquet aux ordres pour l’instauration d’une véritable justice: «Dans la phase transitionnelle par laquelle passe notre pays, un parquet dépendant du pouvoir exécutif devient un danger parce qu’il ne peut en aucun cas garantir la neutralité, l’indépendance et l’intégrité de l’appareil judiciaire. C’est ce qui explique que nous saisissions chaque opportunité pour rappeler aux autorités l’importance d’une instance supérieure de la magistrature indépendante, élue et approuvée par la majorité des édiles. Ce n’est malheureusement pas le cas à ce jour, mais nous lutterons pour y arriver. Ceci ne veut pas dire que l’on doive en tant que magistrat souffrir de la partialité de l’autorité de tutelle et des accusations déplacées de nos vis-à-vis, agents ou responsables sécuritaires».