Affaire Yosr Développement : “Trop rentable pour être vrai!”

Dans un article du journal la Presse datant du 24 octobre 2012, le journaliste Ridha Maamr a enquêté sur Yosr Développement. L’article a été publié sous le titre “Trop rentable pour être vrai!”, ci-après l’article:

yosr-developpement-arnaque-escroquerieSans cartes de visite, ni site web, ou encore un téléphone fixe, sans parler de la médiocre qualité de l’accueil, fondement de la qualité des services, tout est de mauvais augure

Trop rentable pour être vrai. Placer une somme de 60 dinars rapporte en une année 100 dinars. Et c’est la formule la moins porteuse. Par effet multiplicateur, une mise de 10 mille dinars rapporte en une année plus que le salaire annuel d’un professeur d’enseignement secondaire ou d’un cadre de la fonction publique, titulaire d’une maîtrise. Tout ça, sans passer de longues heures à préparer les cours, ni des journées entières derrière les bureaux à traiter d’épineux dossiers. De toute façon, le bouche à oreille a bien fonctionné pour alimenter la curiosité des citoyens moyens qui aspirent à multiplier leurs revenus. Pour mieux s’informer sur cette institution qui rémunère des milliers de fois plus que les banques et dont les placements sont de loin plus sûrs que les portefeuilles d’actions en Bourse, l’adresse mène à un ancien centre commercial de la capitale.

Un flou douteux

Si on ne savait pas à l’avance que la société est sise au premier étage, on aurait facilement loupé les locaux. Car aucune signalisation, ni enseigne, ni personnel d’accueil ne sont disponibles pour l’orientation. Au fond du couloir, un sticker, partiellement visible, est placé sur la vitrine d’un local et qui empêche de voir ce qui est derrière, dans cette salle. En s’approchant, on remarque une petite activité, des gens qui attendent leur tour, sous les yeux des organisateurs pas trop accueillants. L’un des membres de ce staff, en jean, chemise ouverte, chaîne qui brille et un badge peu lisible, multiplie les directives à ses collaborateurs qui s’adressent, ensuite, aux clients de façon sporadique en leur demandant, sèchement, ce qu’ils attendent. A vrai dire, c’est la limite de l’humiliation. Puis, ils les accompagnent dans l’une des deux salles à la disposition de cette société.

A l’ouverture de l’une des portes, l’intérieur des salles paraît trop agité. De bureau en bureau, le client fait la chaîne pour finaliser son dossier. Toujours debout dans ce couloir transformé en hall d’attente, le chef du staff demande à tous les passants : «qu’est-ce que vous avez?». Sans prendre la peine de s’approcher ou de les inviter à son poste. Toujours avec un ton sec et des grimaces révélatrices. Se présentant comme étant curieux de savoir les offres de la société, il m’a orienté vers un autre collaborateur assis derrière un bureau dans le même couloir. Débordé par les inscriptions des clients, il m’a demandé de m’inscrire et d’attendre. Après avoir insisté, le responsable, lui aussi en chemise ouverte, met sur la table deux photocopies de la liste des offres. A consulter, seulement. C’est surprenant, la présentation est médiocre pour une institution financière et le comble est qu’il n’y a pas d’entête qui présente la société, sa forme, son capital… Du coup, une simple question s’impose : Que fait cette entreprise?

«Du commerce international», répond-il. Une réponse aussi banale que la simple question. Entre-temps, un retraité se présente à ce bureau pour remplir un formulaire d’inscription. Venu du centre du pays, il a manifesté son intérêt à placer 4 mille dinars sous une formule hautement porteuse et relativement prudente. Mais, la logique est que la rentabilité est proportionnelle au risque. Donc, la deuxième question qui s’impose, ou plutôt le tas de questions est : quels sont les domaines dans lesquels investit cette société? A combien se monte son capital ? A qui appartient-elle ? Et surtout, si elle arrive à assurer une rentabilité de plus de 100% pour ses clients, quelle est sa marge bénéficiaire ?

Après un temps de réflexion, la réponse de ce responsable est tout simplement : «C’est une entreprise de commerce international, d’un capital de 12 millions de dinars, détenus par des Européens». Incapable de continuer, il se sauve : «Vous trouverez tout sur notre page Facebook». En lui rappelant que la société est reconnue comme étant un fonds de finance islamique, il répond froidement «oui, on opère aussi dans la finance islamique». Et il retire un stock de photocopies pour présenter la liste des offres. En somme, c’est une entreprise de commerce international qui opère dans la finance islamique ! Certainement, un positionnement qui a échappé aux barons de la finance et particulièrement à ceux de la branche islamique. Pourtant, rien d’islamique dans les comportements du staff.

Seule une page Facebook est disponible

Pis, sans cartes de visite, ni site web, ou encore un téléphone fixe, sans parler de la médiocre qualité de l’accueil, fondement de la qualité des services, tout est de mauvais augure. Notre présence est devenue gênante, on s’est retiré doucement pour se rendre sur la seule adresse qu’on a, la page Facebook.

Sur le mur de la page Facebook de cette société, on peut lire un statut daté du 22 septembre : «Les systèmes capitalistes, les banques d’investissement et en général les patrons de la finance occidentale, luttent sans cesse contre le type de sociétés tel que Yosr Development, et ça s’explique parce que viendra le jour où personne ne frappera à leur porte pour leur demander crédit». Egalement, des versets coraniques et des «hadiths» sont partagés sur la page. Probablement pour cibler une clientèle sensible à cet égard.

Maintes questions pertinentes sont posées sur cette page, notamment sur le métier de cette entreprise mystérieuse. La réponse qu’on peut lire est aussi simple que banale : «Beaucoup de gens se posent pas mal de questions sur Yosr Development, c’est bien leur droit et ils ont tout à fait raison, sauf que la société ne peut en aucun cas divulguer ses secrets professionnels, et ne va pas passer sa vie à répondre à des questions diverses». C’est ce qu’on a fait. En vain !

Une chaîne de Ponzi

Ces dernières années, plusieurs entreprises ont vu le jour dont le principal métier est de collecter les fonds contre le rêve d’accéder à la classe des riches. Les formes se multiplient mais le principe est le même. Il s’agit de la rémunération des investissements des clients par les fonds procurés par les nouveaux entrants. Le système pourrait procurer de premiers gains mais s’écroule quand les fonds des nouveaux entrants ne permettent pas de rémunérer les mises des anciens. Ce montage financier n’est autre que la chaîne de Ponzi.

D’après Wikipedia, «ce système tient son nom de Charles Ponzi qui est devenu célèbre après avoir mis en place une opération basée sur ce principe à Boston dans les années 1920». Enfin, il convient de rappeler que la disparition de ces sociétés démontre que ce système est éphémère. Pour ceux qui aspirent à accéder à des standards de vie plus élevés, le travail laborieux est la clé de voûte !