Tunisie – Affaire des “Vignerons de Carthage” : La guerre des vins a-t-elle commencé?

La semaine dernière, l’entreprise ”Les Vignerons de Carthage” (ex. UCCV) a été fortement chahutée par l’annonce du ministre de l’Agriculture, Mohamed Ben Salem, de limoger le directeur général et de dissoudre le Conseil d’administration de la société. Solidaires de leur entreprise, les 402 employés ont décidé d’entamer une grève en guise de protestations. Bien qu’ils aient repris le travail depuis, ils ne comprennent toujours pas pourquoi et au nom de quoi le gouvernement s’immisce-t-il dans la vie et la gestion de l’entreprise. Enquête

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En effet, au cours d’un point de presse qui a eu lieu la semaine dernière, le ministre de l’Agriculture a évoqué plusieurs dossiers de corruption et de mauvaise gestion, dont un prêt non justifié de 64.000 dinars, le salaire hors grille des salaires des entreprises publiques du directeur général et un endettement qui justifient, selon lui, ces mesures.

Mais comment vont les choses du côté de Jebel Jelloud», siège de l’UCCV qui fête cette année ses 45 ans d’existence? Elles vont nettement mieux que ce que veut faire croire le gouvernement, bien que ceux qui connaissent parfaitement l’historique de l’entreprise affirment que, depuis 1964, tous ceux qui l’ont dirigée ont eu des déboires et problèmes avec les services de contrôle de l’Etat. On murmure qu’aucun des dirigeants n’a quitté l’Union sans dégâts: mort, démissions, prisons… L’entreprise, dit-on, porte la poisse!

L’UCCV redevient la locomotive…

L’entreprise traînait une casserole de 40 millions de dinars et enregistrait des pertes estimées à 13 millions de dinars. Elle perdait 34% de son capital et coulait peu à peu avec les 1.500 agriculteurs qui la composaient. Le prix de vente de la vigne de cuve traînait péniblement autour de 0,300/dinar le kilogramme, ce qui était bien loin de couvrir les coûts de production, et allait fatalement mener à tuer la filière après en avoir impacté férocement la qualité et réduit la compétitivité et réputation.

Suite aux différentes crises qu’a connues le secteur, des arrachages de vignes de cuve ont été faites. A titre d’exemple, dans la région de Kélibia, environ 1.400 ha de muscat d’Alexandrie ont été “détruits” en l’espace de 15 ans. La cave de Kélibia produisait 45.000 hectolitres en 1973, elle n’en produit aujourd’hui que 1.200 hectolitres dont 80% proviennent du Domaine de “Clipéa” jouxtant la cave.

L’UCCV allait donc au devant d’une catastrophe qui n’a pas eu lieu puisqu’elle affiche, depuis la nomination de l’œnologue Belgacen Dkhilli, des résultats positifs. L’entreprise met sur pied un programme de développement et de mise à niveau, puis s’est rebaptisée «Vignerons de Carthage», démultiplie les produits, exporte aux quatre coins du monde et gagne des médailles aux concours internationaux.

Elle devient ainsi la locomotive de tout le secteur qui a repris du poil de la bête avec notamment la création des SMVDA (objet de plusieurs passe-droits) et la mise sur pied de plusieurs nouveaux vignobles dont la SICOB qui a progressé, en l’espace de 15 ans, de 10.000 à 70.000 hectolitres sur le marché local, et de Castel qui produit aussi du vin mais règne en maître absolu sur la production de la bière dont la consommation nationale a flambé au détriment de celle du vin.

Quid du litige actuel?

Mais avant d’en arriver là, il a fallu nettoyer, mettre à niveau, restructurer… D’où l’origine du litige actuel. L’affaire qui oppose le ministère de l’Agriculture à l’UCCV remonte à 2002, c’est-à-dire avant l’arrivée de Belgacem Dkhilli qui découvre que certains actionnaires ont créé une société pour commercialiser les produits de la Société avec des marges énormes et des contrats d’exclusivité. Elle finit entre les mains de la justice et les inculpés d’abus de biens sociaux écopent de 5 ans de prison au pénal. Soutenus par Leila Ben Ali, l’affaire est vite étouffée, et les inculpés, proches de l’UTAP et de certains cercles de pouvoirs, sont même reçus par l’ancien président Zine Abeddine Ben Ali. En cassation, l’affaire est tranchée en une semaine et, depuis, les principaux protagonistes n’ont plus qu’une idée, mettre en vrille la compagnie et son équipe dirigeante.