Nous sommes aujourd’hui bien loin de l’ambiance bon enfant qui régnait, le 22 novembre 2011, sous la coupole du Palais du Bardo. Le pays, il faut le reconnaître, est pratiquement divisé en deux. Et cela ne peut continuer.
Jeudi 7 février 2013. Siège de l’Assemblée nationale constituante (ANC). Après avoir observé une minute de silence à la mémoire du militant disparu, Chokri Belaïd, nombre de membres de l’opposition quittent la salle. Certains s’attardent pour discuter en retrait alors que Sahbi Attig, président du bloc d’Ennahdah à l’ANC, prend la parole.
Mustapha Ben Jaaffar, président de l’Assemblée, affiche une mine triste. Nous sommes bien loin de la première séance du 22 novembre 2011, lorsque près d’un mois après les élections du 23 octobre 2011, une ambiance bon enfant régnait au Palais du Bardo.
Entre-temps, évidement beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Entre-temps, le pays a été pratiquement divisé en deux: les Nahdaouis et leurs alliés du CPR (Congrès Pour la République) et d’Ettakatol, et les autres, ceux qui s’opposent à eux: pour l’essentiel ceux qui disent refuser «le diktat» islamiste.
Un tournant à négocier
Une division qui est allée crescendo, de Charybde Scylla, jusqu’à emprunter les voies détestables de la violence. Violence verbale et physique (le lâche assassinat de Chokri Belaïd en est malheureusement un exemple édifiant), exacerbée par une grande déception dans les rangs de larges couches de la population qui voient leur quotidien fait de tonneaux de Danaïdes. En somme, des tâches sans fin, des vécus sans promesses tenues et même des jours sans grandes lueurs d’espoir.
L’assassinat du martyr Chokri Belaïd est pour beaucoup et en quelque sorte l’expression d’un échec sanglant de cette révolution sur laquelle on a beaucoup mis d’espoir. Beaucoup estiment aussi qu’elle constitue un tournant que la Tunisie se doit de négocier.
Une chose est sûre, à ce propos, si l’on continue sur la même voie, tout le monde va vers sa fin. Une chose est sûre, les surenchères verbales, l’intolérance, le refus de l’autre, la volonté d’exclusion voire l’esprit de revanche, pour se limiter à ces seuls travers, qui animent des dirigeants politiques, ne peuvent continuer.
L’heure n’est pas aujourd’hui aux ressentiments encore moins aux rancunes et rancœurs. La justice se doit de faire toute la lumière sur le crime odieux qui a concerné un homme juste et représentant d’un courant de pensée qui mérite et force le respect de tous. Et le pays se doit d’avancer sur la voie des valeurs qu’il s’est choisi le 14 janvier 2011. Celles de la liberté, de l’égalité des chances, de la dignité, du travail, de l’abnégation…
Dans ce tournant, il s’agit donc de faire œuvre de patience et de tolérance en sachant négocier dans le calme et en mettant l’intérêt du pays au-dessus de tout. S’il est vrai que cette œuvre est beaucoup plus facile à dire qu’à faire, gageons toutefois que dans toutes les nations et dans les moments difficiles, des hommes exceptionnels arrivent toujours à trouver la voie du salut.