Six mois sont passés depuis ce jour mémorable où Zine El Abidine Ben Ali, président de la Tunisie depuis cinq mandats, a quitté le pays, à la grande joie des Tunisiens, d’abord incrédules. Deux versions officielles, très incomplètes et donc insatisfaisantes, ont été rendues publiques, et documentaient jusqu’à aujourd’hui les circonstances de la fuite du dictateur honni.
La première, par Ben Ali lui-même: dans un communiqué, l’ancien président expliquait au printemps qu’il était monté dans l’avion ce jour-là avec sa femme et ses enfants, car le chef de la sécurité présidentielle et de sa famille, Ali Seriati, lui avait promis qu’il pourrait revenir.
La seconde nous vient d’Ali Seriati en personne, lors de l’ouverture de son procès, le 26 juillet à Tunis.
«Le 12 janvier, affirme-t-il, j’ai réalisé que Ben Ali allait tomber et qu’il allait en résulter un vide institutionnel.» Selon lui, le 14 janvier, il y aurait eu parachutage de forces de la police et de la garde nationale sur l’aéroport de Tunis-Carthage. «Vers 15 heures, Ben Ali m’a appelé dans son bureau et m’a demandé de faire préparer l’avion présidentiel pour un décollage à 18 heures en vue de transporter sa famille en Arabie saoudite où elle (serait restée) le temps que la situation se calme, et m’a ordonné de les accompagner dans ce voyage.
Mais, à l’aéroport, Ben Ali change d’avis et décide de les accompagner lui-même, puis de retourner à Tunis le lendemain.» Arrêté le 14 janvier après la fuite de Ben Ali, Ali Seriati est jugé à Tunis aux côtés de 22 proches du couple Ben Ali appréhendés à l’aéroport, dans un procès dont les audiences doivent reprendre mercredi. Accusé entre autres de complot contre la sûreté intérieure de l’État, il est poursuivi pour complicité de tentative de sortie illégale de devises.Lors d’une conférence presse donnée ce lundi 8 août 2011 à Tunis, le colonel Samir Tarhouni, chef de la Brigade anti-terrorisme de la police nationale (BAT, équivalant de notre RAID), a livré sa version de la prise d’otage qui a conduit, le 14 janvier, au départ de Ben Ali. Elle contredit totalement celle d’Ali Seriati.
Selon les informations recueillies par Mediapart, ce n’est qu’après avoir appris que Belhassen Trabelsi, en fuite au Canada, aurait décidé de le faire assassiner, lui et sa famille, que le colonel a pris la décision d’organiser cette conférence de presse.
Mediapart publie aujourd’hui tous les détails de cette journée du 14 janvier, vue par le colonel Samir Tarhouni, mais aussi par ses hommes, ainsi que plusieurs autres témoins présents ce jour-là. Les images publiées en exclusivité par Mediapart sont issues de la vidéo prise durant l’après-midi et le début de la soirée du 14 janvier par un des agents de la BAT. Elles prouvent à elles seules que la version officielle, qui voudrait que les Trabelsi aient été arrêtés par l’armée après le départ de Ben Ali, la nuit du 14 janvier, est erronée.
À titre indicatif, et pour comprendre le récit qui suit, le lecteur doit savoir que la sécurité nationale tunisienne est composée de quatre unités spéciales, dont la Brigade anti-terroriste de la Police nationale et l’Unité Spéciale de la Garde Nationale (équivalent du GIGN français). Ces deux unités sont celles qui ont accompagné Ben Ali le 7 novembre 1987, lors de son coup d’Etat.
Demeurée dans l’ombre depuis, la BAT tunisienne n’intervient que très rarement, dans le cadre de missions particulièrement périlleuses.Une question, de taille, demeure toutefois comme la grande énigme de ce 14 janvier : quel fût le rôle de Rachid Ammar, ancien chef de l’armée de terre, placé en toute discrétion à la tête de l’armée à la mi-avril, et que beaucoup de Tunisiens considèrent comme le principal dirigeant du pays depuis la chute de Ben Ali ?
D’après le colonel Samir Tarhouni, ainsi que les témoignages recueillis par Mediapart, voici le récit de la fuite de Ben Ali et de sa famille, qui a fait basculer la Tunisie, et entraîné le monde arabe dans un mouvement révolutionnaire qui n’a pas encore trouvé son terme. La suite sur Nawaat.
Article publié sur Mediapart (payant)