Dans son errance poétique, Tahar Bekri continue son va et vient entre les maîtres de la sagesse et les traces en l’occurrence d’Ibn Hazm ou Imurul el Qays. Cette fois, il se lance dans les sillages du poète turc du XIVème siècle, Yunus Emre. Paru aux éditions Elyzad, le nouveau recueil, intitulé “Au souvenir de Yunus Emre” est sa toute première édition bilingue (français et arabe).
Dédié à la mémoire des martyrs de la Révolution du 14 janvier 2011, “ce recueil est la suite de “Je te nommes Tunisie” : un message pour la nouvelle Tunisie” explique-t-il à l’agence Tap. Un recueil à travers lequel il poursuit de restituer avec les mots ses impressions sur l’après révolution où affleurent émotion, peur et espoir.
Traduite dans différentes langues (russe, anglais, italien, espagnol, turc, etc), sa poésie démontre encore une fois, à quel point cette plume tente de crier fort à la sagesse pour accompagner la démocratie et aider le débat tolérant et pacifique.
Sensible à ce qui se passe dans son pays, le poète tunisien essaie avec ses vers à faire face à la parole intolérante, violente, fanatique et haineuse :” Laisse le moustique à ses basses besognes, C’est ton sang qu’il faut protéger du Tyran, Marche doucement sur la terre, Il y’a tant de fourmis à l’oeuvre” (extraits).
En fait, précise-t-il “Yunus Emre n’est qu’un prétexte comme je l’ai fait dans deux recueils précédents ou je suis allé sur la trace d’Ibn Hazm et Imurul Qays”.
Le trait d’union entre le poète de l’amour Emre (1238-1320) et le poète-citoyen Bekri (1951), se manifeste par une communion de valeurs universels, la peur d’un avenir inconnu et la lutte contre l’indifférence et l’ignorance.
Avec la simplicité des mots qui dégagent leur quintessence, le livre offre une lecture poétique sensible exhortant à une appropriation moderne du tourath, le plus bel héritage et de ce qu’il véhicule comme message universel: la Sagesse, la Paix et la Justice, qui offrent les Beautées de l’Humain.
Inspiré par son voyage en Turquie, il réaffirme avec modernité la propension à la liberté humaine. Loin des visions et des dogmes obscurs, sa poésie habitée d’interrogations philosophiques et de sagesse universelle célèbre la vie, l’amour et la paix sur Terre.
Suivant de près l’actualité dans une Tunisie sous-tension, il dévoile son questionnement profond du monde, de la société et du pouvoir : “Maintenant que l’orage a moins de fougue, Avant de semer dans les sillons, Regarde devant toi la terre, Pour féconder le champ, Il ne suffit pas de labourer ou de jeter des graines… Quant tu trébuches, ne méprise pas le caillou, Il fut un jour rocher” car ” La vague la plus haute et la plus fière, finit toujours au ras des rivages”.
Beaucoup plus qu’une écriture, le livre est plein de révélations sur les secrets de la vie, destinées aux âmes malades : “L’âne a un dos, Pour tout porter, Sauf ton inhumanité, Son coeur n’est pas une charrette, Pour que tu le remplisses de tous ces déchets, Sa patience ne peut supporter tes supposés obligations”.
Continuant à travers son oeuvre à lancer un cri contre l’absurdité humaine, le poète ne peut être indifférent: “Sois juste envers le désert, Il fut de glace et vert….Si tu vois passer les caravanes, n’aboie pas comme un chacal, Charge-les de ton endurance” et “si on t’impose l’obscurité, Résiste, En t’imaginant un tournesol”.
Si dans “Le petit livre des conseils” traduit par André Duchemin Yunus Emre écrit: “Viens ici que je te fasse déterrer le trésor, et que je te fasse connaître ce qui t’empêche de le découvrir, si tu veux découvrir l’éternel et le vivant”, Tahar Bekri lui emboite le pas avec des vers adaptés au contexte tunisien en disant “Dans l’ardeur des chemins libérés de leur peur, S’écrit ta flamme, Endure le froid et la neige, Réchauffe-toi avec ta rage, C’est ta passion sans mesure qui illumine les brasiers”. Et pour comprendre la vie sache que “La pluie naît des ciels obscurs, non des ciels purs…Le monde est un pétale de rose, Entouré d’épines, Prends le sans courber l’échine”, page 14 et 12 des 133 petites merveilles poétiques d'”Au souvenir de Yunus Emre”, signé Tahar Bekri.
DI/TAP