Par Mohamed Farouk
Nouri, Mounira, Youssef, Sarra, Ismaël, Abderhmane et Mahmoud, des personnages et des tranches de vie rencontrés et racontés la veille de l’Aïd. Sur la route de Tunis à Kairouan. Reportage.
Jeudi 25 octobre 2012. 10 heures du matin. Dans une station service sur l’autoroute Tunis-Sfax, Nouri avale son deuxième café. Le premier, il l’a pris chez lui vers 9 heures. «Il me faut toujours boire deux cafés le matin sinon je ne peux voir clair dans ma journée», s’amuse-t-il, alors que son fils, Youssef, étudiant en architecture, lui fait remarquer qu’il ingurgite, comme toujours, beaucoup de cafés.
Youssef a pris un Coca-Cola et un paquet de chips qu’il partage avec sa cousine, Sarra, étudiante également à l’Institut supérieur d’architecture à Sidi-Bou Saïd, que Nouri, Mounira, épouse de ce dernier, et Youssef sont allés cueillir à Aïn Zaghouan, vers 9 heures 30 minutes.
Dans la station service, pleine de monde, pour les nombreux automobilistes qui s’y arrêtent, il n’y a quasiment qu’un seul et unique sujet de discussion: le mouton de l’Aïd. Le mouton de l’Aïd, d’ailleurs Nouri y va. Il a prévu de faire une escale à Sebikha pour récupérer le mouton que lui a acheté un parent de sa femme, originaire de cette agglomération de quelque 7.000 habitants, située à une trentaine de kilomètres au nord de Kairouan.
«Une plaque minéralogique de couleur bleue»
Nouri estime qu’il «l’a échappé belle»: seulement 300 dinars. « Ce parent de ma femme est un agriculteur bien rompu au négoce des animaux, sinon j’aurai payé bien plus cher», affirme-t-il. Et Nouri d’éclater de rire lorsque Youssef lui raconte l’histoire du père d’un ami à lui qui, pour amuser la galerie, avoir acquis un mouton portant «une plaque minéralogique de couloir bleue». Pour faire le parallèle -vous l’avez compris– avec une location de voiture.
Il n’a pas trouvé mieux que de «louer un mouton» pour 35 dinars la journée –«et ce n’est pas donné»- et pour jeudi et vendredi seulement. Le mouton a dormi jeudi soir dans l’appartement qu’occupe notre homme à La Marsa. Le lendemain matin, soit le jour de l’Aïd, le papa fera mine de le conduire à l’abattoir.
Il le rendra en fait à son propriétaire. Suite à quoi, il passera chez le boucher du coin qu’il lui a prévu trois kilogrammes de viandes, des rognions et 500 grammes de foi pur mouton. Grands éclats de rire. Grands éclats de rire lorsque Sarra évoque le cas de ce bon père de famille qui a quasiment étranglé un coq auquel il demandait de bêler tel un mouton. Histoire de convaincre son fils qu’il s’agit d’un mouton.
Dans la même station service, inondée par un soleil toujours présent malgré le froid et la pluie de la veille, on vous raconte d’autres histoires. Ainsi Ismaël, un agent général d’une grande assurance, soutient que les «Gacharaâ» et autres «Bazness» (revendeurs) n’ont pas contribué à faire baisser les prix des moutons importés de Roumanie. Ils ont fait la queue pour acheter des moutons en vue de les revendre. Certains ont recueilli jusqu’à 30 ou 50 dinars de plus en ne s’éloignant pas trop des points de vente. Au vu et au su de tout le monde.
«Il fallait s’y attendre»
Sur l’autoroute qui conduit Nouri à la ville natale de son épouse, Kairouan, la circulation est bien fluide. «De deux choses l’une», fait remarquer Nouri : «Ou les gens ne sont pas encore sortis de Tunis ou les gens sont déjà rentrés chez eux». Il commente : «Et je crains qu’ils ne soient déjà rentrés chez eux. Déjà la veille, à l’Université où il donne des cours, il n’a enregistré aucun étudiant à un enseignement, pourtant semestriel, qu’il assure.
Une radio privée interroge un expert financier qui tente de mettre en perspective la dernière circulaire de la Banque centrale de Tunisie. Celle-ci, en date du 4 octobre 2012, astreint les banques commerciales à des mesures prudentielles. La décision de ramener le délai de remboursements des crédits à la consommation à trois ans figure en bonne place.
«Il fallait s’y attendre», souligne Nouri. Qui ajoute: «Que voulez-vous, les gens ne travaillent plus et veulent tout et tout de suite». «Comment voulez-vous créer de la valeur?», interroge-t-il.
La même radio annonce que le prix du lait va connaître à son tour une augmentation. Commentaire de Mounira, qui esquisse un sourire narquois, sous de grandes lunettes de soleil: «C’est un cadeau du gouvernement à l’occasion de l’Aïd». Nouri hoche de la tête tout en prenant, en arrivant au niveau d’une bifurcation sur la route Enfidah-Kairouan, la direction de Sebikah.
Il ne s’arrêtera dans cette ville que pour récupérer son mouton, qui crèche depuis une semaine dans un garage. Ensuite tout droit pour Kairouan. Nouvel arrêt au Mausolée de Sidi Sahbi, un des compagnons du prophète Mohamed (SAWS). Pour réciter une Fatiha. «Car demain, assure-t-il, il sera bien difficile de le faire vu le grand nombre de personnes qui viendront visiter ce lieu».
A l’entrée du Mausolée, on se prépare à ce grand jour. Abderhmane est déjà là avec sa mallette et sa blouse blanche. Cet infirmier de quarante-cinq ans devra avoir du boulot. Il devra circoncire une dizaine de garçons. D’ailleurs «leurs parents lui ont demandé de venir».
Dans la mosquée, qui jouxte le lieu de sépulture de l’un des plus grands saints de la ville, Mahmoud, pantacourt blanc, babouches noirs, pose des nattes sur le sol du patio. «Demain, ça sera et la prière de l’Aïd et celle du Vendredi. C’est dire que ce n’est pas une journée comme les autres», lance-t-il, essayant, avec son mouchoir, une petite sueur qui s’est constituée sur son front.
Aïdkom Mabrouk.