Les journalistes et les structures qui les représentent ne lâcheront pas prise encore une fois au sujet des nominations à la tête des médias publics. Le gouvernement, qui n’a pas souhaité jusqu’ici mettre en application le décret-loi n°116, qui permettra à la Haute Autorité Indépendante de l’Audiovisuel (HAICA) –non encore mise en place- de nommer les dirigeants des médias du service public, ne semble pas avoir comme souci premier aujourd’hui de se pencher sur ce dossier. Il a d’autres soucis comme la situation économique et sociale ou encore les élections générales qui pourraient intervenir dans six mois.
Le gouvernement tunisien n’est-il pas aujourd’hui dans une situation inextricable avec les nominations, le jeudi 16 août 2012, de Lotfi Touati à la tête de «Dar Assabah», et le vendredi 17 août 2012, d’Imène Bahroun, à la tête de la TT (la Télévision Tunisienne)?
Ces décisions ont provoqué tout de suite de fortes réactions du SNJT (Syndicat National des Journalistes Tunisiens), de l’UGTT (Union Générale Tunisienne du Travail) et du personnel des deux institutions concernées. Ils ont exprimé leur refus de ces nominations, ils ont appelé à l’indépendance des médias publics et à une consultation avant toute nomination. Un sit-in est annoncé, dans ce cadre, mercredi 22 août 2012, devant le Palais du gouvernement, à La Kasbah, pour protester contre ces nominations.
Comment le gouvernement va-t-il réagir pour gérer cette nouvelle crise? Il peut évidement faire la sourde oreille. Il semble avoir adopté, pour l’essentiel, cette attitude depuis son arrivée au pouvoir concernant ce dossier. Même s’il ne cesse de recevoir et d’écouter nombre de protagonistes. Il a même reculé, en janvier 2012, au sujet des nominations des rédacteurs en chef de La Presse de Tunisie, d’Essahafa et du directeur de l’information de la TT, laissant aux comités de rédaction de ces médias de choisir les patrons des rédactions. Ne faisant rien au sujet des nominations des patrons des médias publics, en janvier 2012, comme celle de Mohamed Meddeb, à la tête de la Radio Tunisienne (RT), en avril 2012, un autre bastion du service public; celles-ci sont passées, pour ainsi dire, comme une lettre à la poste.
C’est oublier la spécificité des entreprises de presse
Remarquons, d’abord, que la situation de Dar Assabah diffère beaucoup de celle de la TT. La première institution est, certes, publique comme l’est la TT: elle est tombée dans l’escarcelle de l’Etat étant une des entreprises du clan Ben Ali-Trabelsi, la Princesse Holding, propriété du gendre du président déchu, Zine El Abidine Ben Ali, Mohamed Sakhr El Materi, qui possède 30% du capital de ce média. Mais la nomination de son premier responsable n’est pas régie par un texte spécifique comme l’est celle de la TT: le décret-loi n°116 du 2 novembre 2011 relatif à la liberté de la communication audiovisuelle et à la création d’une HAICA (Haute Autorité Indépendante de la Communication Audiovisuelle).
Et c’est là où le bât blesse. La nomination du premier responsable de la TT doit être entérinée par la HAICA (article 19). La nomination du PDG de Dar Assabah peut –normalement- se faire dans les mêmes conditions que n’importe quelle autre entreprise publique. Quel que soit le secteur auquel elle appartient. Il suffit que le principal actionnaire convoque le Conseil d’administration, lui soumette cette nomination et que ce dernier l’accepte. Ce qui a été fait, jeudi 1er août 2012, pour le cas de Lotfi Touati.
Mais c’est oublier la spécificité des entreprises de presse. Qui ne produisent pas seulement des biens et des services (économiques), mais qui sont également l’expression libre d’opinions et de courants de pensée. Les rédactions de certains médias, après la révolution du 14 janvier 2011, ont fait valoir cette réalité. En appelant à une séparation entre les rédactions et les directions. Elles ont créé, à cet effet, des comités de rédaction qui souhaitent veiller à l’indépendance des rédactions par rapport aux propriétaires du capital. Reproduisant des schémas connus et défendus dans de nombreux pays démocratiques.
Des démarches prendraient du temps
Mais qu’elle est la marge de manœuvre du gouvernement aujourd’hui concernant cette affaire? On comprend bien qu’il semble difficile au gouvernement de revenir en arrière. Même si pour le cas de la nomination d’Imène Bahroune, il sait pertinemment qu’il peut être dans le tort: un texte existe, il faut l’appliquer, disent les contradicteurs du gouvernement. Qui a, quant à lui, un argument qui lui paraît en béton: le décret-loi n°116 a été promulgué au cours de la première période de transition, c’est-à-dire au cours de la période allant de la chute du régime de Ben Ali à l’entrée en fonction du gouvernement Hamadi Jebali sorti des urnes du 23 octobre 2011. En clair: ce texte, comme tant d’autres, devrait être entériné par l’Assemblée Nationale Constituante (ANC). D’autant plus que le gouvernement aurait des choses à dire concernant ce texte. En témoigne la consultation lancée par ce dernier, les 27 et 28 avril 2012, sur le régime juridique des médias.
Article publié sur WMC
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