On avait demandé à Bourguiba ce qui le différenciait des frères musulmans, il a répliqué : 14 siècles. En fait ce qui nous sépare, nous Tunisiens, aujourd’hui des frères musulmans ou de ceux qui ont adopté leur doctrine et leur façon de faire se contentant tout juste de changer d’appellation, c’est bien plus que 14 siècles. C’est trois mille ans d’histoire.Ce qui nous sépare aujourd’hui du projet passéiste qu’on veut faire voter à la constituante et illustré par les articles 22 et 28 (Voir interview Lamia Debbabi, présidente de l’Association des femmes Juristes) est bien une certaine Didon ou elyssa, fondatrice de Carthage, sœur de Pygmalion, roi de Tyr. Cette femme qui plutôt que de se marier au roi du peuple nomade des Gétules Larbas, qui l’avait demandée en mariage, préféra se sacrifier sur un bûcher. Elle enfanta de Carthage et avec elle de la culture phénicienne. Carthage fut une démocratie et l’une des plus grandes puissances maritimes, commerciales et militaires de l’antiquité. Sa fondatrice ? Une femme. A l’époque, les femmes tunisiennes étaient des femmes des sciences et exerçaient la médecine*.
Une tradition transmise aux civilisations qui avaient succédé à Carthage dont celle arabo-musulmane. D’après Ibn Khaldoun (1332-1406) « les tabibet, les femmes médecins, « valaient mieux que le meilleur médecin pour traiter les maladies infantiles ».
Il y eut aussi la Kahina, une guerrière d’un courage et d’une abnégation rarissimes qui régna sur nombre de tribus berbères de l’an 685 à 704. Elle fût décapitée au bout d’une lutte sans merci qui l’avait opposé aux conquérants arabes venus occuper le Maghreb. En désespoir de cause et devant son incapacité à empêcher l’occupation de son territoire, elle voulu protéger ses deux fils et leur intima l’ordre de rejoindre les rangs des musulmans sortis vainqueurs de longues batailles.
Le code du statut personnel de 1959 a sacré les droits des Tunisiennes mais bien avant, elles étaient des femmes instruites et cultivées et qui participaient à la vie publique autant que les hommes.
Selon l’historien Ibn Badis, les kairouanaises « écrivaient et lisaient couramment. Il y a mille ans, dans cette ville sainte, les pères étaient invités à envoyer leurs enfants garçons et filles à l’école. Les femmes se pressaient comme les hommes aux leçons d’un professeur célèbre ».
Les Tunisiennes étaient également des mécènes et nombreux témoignages montrent qu’elles finançaient la construction de bibliothèques et d’hôpitaux telle Aziza Othmana.
Avant-gardiste en matière des droits des femmes, Ourwa Al Kairaouania a imposé le fameux contrat qui lui accordait le droit de demander le divorce et de l’avoir si elle le souhaitait. Ce contrat kairouanais avait pour source le contrat à clauses par lequel la femme pouvait exiger d’être l’épouse unique. Il s’en inspire pour aller plus loin et montrer que l’islam n’est pas une religion de dogmes, il donne à la femme le pouvoir matrimonial faisant passer chez elle le droit de répudiation».
Les Tunisiennes furent des saintes et prêtresses. Lella Manoubia ( Saïda Aïcha Manoubia) qui vécut au douzième siècle, fût l’une des disciples les plus brillants de Belhassan El Chedli, l’un des grands patrons de Tunis à l’instar de Sidi Mehrez. Saïda Aïcha Manoubia a revendiqué ouvertement le statut de « pôle des pôles », la plus élevée dans la hiérarchie soufie. Cette femme très instruite sur le coran et le fikh priait à la mosquée Zitouna en compagnie des hommes.
C’est dire que les Tunisiennes étaient très versées dans la religion et au 9ème siècle, Fatima el Fehria, une Kairouanaise, fonda la mosquée des Karawyyine. La sultane Atef a pour sa part construit le lieu qui abrite aujourd’hui l’université théologique de la Zitouna. Ce n’est donc pas le code du statut personnel qui a fait des femmes en Tunisie ce qu’elles sont aujourd’hui. Ce code promulgué courageusement en 1959, consacre les combats des Tunisiennes à travers les âges et les époques et ça n’est que leur rendre justice. Elles n’ont jamais failli et n’ont pas trahi jusque dans la Tunisie colonisée par la France où elles s’étaient battues, milités, manifestés et furent emprisonnées.
Le CSP quoique initié courageusement par un homme appelé Bourguiba et inspiré de la clairvoyance d’un homme appelé Tahar Haddad a été le naturel aboutissement de l’histoire d’un pays où la femme a joué un rôle prépondérant à travers toutes les époques. Le peuple l’a adopté tout naturellement parce que son héritage civilisationnel l’y préparait et parce que le moment s’y prêtait, il n’a pas été forcé de le tolérer et il ne l’a pas senti comme une agression.
La condition des femmes en Tunisie est et a été sans équivalent dans le monde arabe et à bien d’égards dans d’autres pays évolués dans le monde. Les Tunisiennes ont été de tous les combats et ont incarné la révolte contre toute autorité aliénante et assujettissante. Dans les stratégies de survie, en situation de crises et de problèmes sociaux, elles ont fait preuve de génie, dans l’adversité, elles ont fait preuve de courage.
Qui oserait aujourd’hui sous-estimer les réalisations féminines en Tunisie ou imaginer un seul instant pouvoir renvoyer les femmes au moyen âge sauf si en bonne politique, on a trouvé le moyen de gagner du terrain électoral avec un bouc émissaire idéal : les femmes !
Amel Belhadj Ali
*Source : http://www.rahhala.net/consultcourrier.php?id=156