M’hamed Chenik… Un militant politique doublé d’un homme d’affaires

S’il est connu pour être un militant et un homme politique qui a marqué le XXème siècle tunisien, M’hamed Chenik n’est pas néanmoins un brillant homme d’affaires. Il a créé deux institutions phares: la STUFIT (dans le textile) et la Coopérative Tunisienne de Crédit, qui est la première banque tunisienne.

Nous sommes en juillet 1942. Le Bey de Tunisie, Moncef, sans doute le plus populaire des monarques de la dynastie husseinite qui règna sur le pays depuis 1705, visite la STUFIT (Société Tunisienne de Filature et de Tissage) que dirige M’Hamed Chenik. Saïd Mestiri raconte dans le menu détail cette visite du souverain, dans le premier tome de son livre consacré à Moncef Bey à ce qui fut, alors, la deuxième unité textile du pays (Voir Saïd Mestiri, Moncef Bey, Arcs Editions, Tome I, 1988, 238 pages).

«Tenant la promesse faite à M’hamed Chenik, lorsqu’il n’était que prince héritier, il (Moncef Bey) se rend à la STUFIT (…) fondée par M’hamed Chenik, Aziz Jellouli et Habib Badra», écrit Saïd Mestiri. Il ajoute: «Dotée de machines modernes, elle fabrique essentiellement des tissus d’habillement dont le besoin se faisait cruellement sentir depuis la raréfaction des échanges avec la France. Moncef Bey s’est déclaré impressionné par l’organisation et la qualité du tissu produit».

La STUFIT, fondée en 1939 -qui existe encore aujourd’hui-, est l’un des faits d’armes de M’hamed Chenik, homme d’affaires brillant, généralement connu pour être un militant de l’indépendance de la Tunisie. Deux fois Premier ministre, sous Moncef Bey, dont il fut, note Saïd Mestiri, «l’ami et le confident», de janvier à mai 1943, et sous Lamine Bey (le dernier monarque husseinite) d’août 1950 à mars 1952, M’hamed Chenik n’a pas consacré sa vie qu’à la seule politique et au seul combat pour l’indépendance politique de son pays.

Indépendance économique de la Tunisie

Taille moyenne, coiffé le plus souvent d’un fez, M’hamed Chenik est né en 1889 à Tunis. Il quitte assez tôt le collège Sadiki, après le décès de son père, pour aller travailler comme comptable dans une minoterie, la minoterie Zaouche et Ramella, grâce à une aide d’un ami de son défunt père, Abdejelil Zaouche, un homme d’affaires et un homme politique tunisien. Il y passe quelques années avant de rejoindre l’Union commerciale, une organisation professionnelle créée par des hommes d’affaires djerbiens. Celle-ci le charge de mission en Europe: favoriser l’écoulement des produits tunisiens sur le Vieux Continent.

Ce séjour européen (essentiellement en France et en Allemagne) renforce chez lui un sentiment fort, celui de la nécessité de l’indépendance économique de la Tunisie par rapport à la France. Il s’y active une partie de sa vie, notamment lorsqu’en 1935 il parcourt une grande partie des pays du Moyen-Orient (Egypte, Syrie, Liban…) pour rétablir les ponts commerciaux qui étaient établis avant l’installation du Protectorat. Il y rencontre, à l’occasion de ce voyage, notamment Talaat Harb, qui est considéré comme le père de l’économie égyptienne.

Il fonde à son retour d’Europe, en 1922, la première banque tunisienne: la Coopérative Tunisienne de Crédit, avec le concours de nombreux commerçants tunisiens. Craignant que celle-ci ne favorise le financement des activités des nationalistes tunisiens, la France se bat, à deux fois, pour mettre à mort cette institution: en 1933 et 1935.

La seconde sera la bonne. Au cours de la première tentative, il trouve un appui certain auprès de nombre de militants destouriens, dont celui qui deviendra plus tard le premier président de la République, Habib Bourguiba. Ce dernier lui écrit ceci, dans une lettre qui lui est adressée, en 1953: «Non vraiment, je ne regrette pas d’avoir tenu bon en ce lointain mois de janvier 1933, d’avoir choisi la bonne route, de lui avoir tout sacrifié et de m’y être tenu contre vents et marées» (Voir Saïd Mestiri, M’hamed Chenik, du ministère à l’exil, un long combat au service de la Tunisie, La Presse de Tunisie, 20 mars 2012).

Si elle a connu un meilleur sort, la STUFIT fera l’objet de nombreuses exactions de la part des services du Résident général de France en Tunisie. Ainsi «des enquêteurs ont passé (en 1943) au peine fin les comptes de la STUFIT pour y trouver matière à poursuites» (Voir Saïd Mestiri, Moncef Bey, Chronique des années d’exil, Arcs Editions, Tome II, 1990, 339 pages).

Il lui consacrera une partie importante de son temps, l’indépendance du pays retrouvée, en 1956. Et ce jusqu’à sa mort en 1976.

Article publié sur WMC