Vous évoquez également la persistance d’un « lien organique » entre le ministère de l’intérieur et les médias publics.
C’est très simple : chaque jour, au JT de 20h – la même équipe, soit dit en passant, que sous Ben Ali, celle qui nous expliquait en décembre 2010 que des hordes d’individus cagoulés semaient l’anarchie à Sidi Bouzid, mais que Ben Ali allait rétablir l’ordre – des communiqués du ministère sont lus intégralement à l’antenne. L’autre biais, ce sont les informations non vérifiées, n’émanant que d’une seule source, toujours anonyme, mais qui ne trompe personne. “On croit savoir”, “de source sûre”…, c’est le plus souvent des infos distillées par le ministère, qui sont reprises sans mise en perspective. De ce point de vue, ce sont les mêmes pratiques journalistiques que ce qui se faisait sous Ben Ali.
Qu’en est-il des médias en ligne ? Ne constituent-ils une base pour la refonte d’un journalisme critique en Tunisie ?
Le principal problème pour ces médias, c’est le modèle économique, qui demeure très fragile. La pression des annonceurs est telle que leur marge de manœuvre demeure faible, dès lors qu’ils s’attaquent aux hommes d’affaire. Ces médias ont également du mal à exister, tout simplement parce que ce qui fait le cœur de l’actualité aujourd’hui en Tunisie, ce ne sont ni eux, ni la télévision, mais Facebook. C’est une conséquence directe de la censure sous Ben Ali, qui était presque totale, mais s’exerçait avec difficulté sur Facebook.
Le problème, c’est que la rumeur prospère sur Facebook : personne ne publie de charte éditoriale, ne dit qui il est, d’où il parle. Certains sites, comme Al Jarida, trouvent leur audience via Facebook, mais n’ont que l’apparence d’un média. On en sait ni qui est derrière, ni qui finance, ni l’origine de ses articles, ni l’identité des personnes qui les écrivent. Facebook, cela ne peut pas être un modèle de journalisme, c’est un média qui pousse à la surenchère du discours et de la rumeur, que les différentes parties et groupes d’intérêts peuvent utiliser à leur avantage. Ce constat mine le processus de recomposition médiatique aujourd’hui en Tunisie.
Source : Mediapart