Dès l’indépendance, le Combattant suprême, mégalomane, absolutiste, habile à saisir le vent, avec sa personnalité bien trempée, son sens de la formule, son infatigable verve et ses yeux hypnotisant, a confisqué la problématique féminine, qui garde quand même toute son acuité en terre arabo-musulmane, à son profit. Il n’a pas hésité à en faire son cheval de bataille tout au long de son règne. A piétiner les préjugés ex abrupto. A exalter l’éternel féminin. A sanctuariser ses droits sociaux. A brandir ce faire-valoir à chaque occasion. A chaque rencontre internationale. A chaque rendez-vous partisan. Bref, la parabole d’un savoir-faire typiquement tunisien. Car Habib Bourguiba était finalement convaincu qu’en politique, il faut avoir l’appui des femmes… Les hommes vous suivent tout seuls.
Eh oui!, les moments de la fondation, disait Pascal, sont toujours des moments machiavéliques par excellence. Seulement, en dépit du spasme féministe, idéologisé à l’extrême, entonné tout au long de la période bourguibienne, porté en bandoulière sur les ondes de la radio nationale et dans les émissions et les variétés de la télévision naissante, les organisations féminines officielles n’ont pas hésité à retourner leur veste après le départ forcé de leur bienfaiteur. A succomber aux sirènes de l’artisan du Changement. A dénoncer l’héritage du père. A balancer des ostensoirs devant son portrait. A endosser les valeurs de l’ère nouvelle. Eh oui!, c’est qu’il faut vite se faire aimer. La voilà donc, encore une fois, le pied à l’étrier.
Et la drague mutuelle s’est poursuivie avec le nouveau locataire de Carthage. Qui, tout miel, a continué son opération de charme. A coup de lois. De sentences. De parti-pris. Grisant une gent féminine, titubant de liberté et d’audace. Occidentalisée lorsqu’il s’agit de défendre ses intérêts immédiats. Totalement conservatrice et orientale quant il faut protéger un frère ou un fils face à la furia de la conjointe. Ce qui a fait tanguer la société tunisienne dans son ensemble. Accentué la perte des repères. Favorisé le retour à la religion. Fait le lit des salafistes. Radicalisé le discours machiste. Puisque la femme tunisienne, en dépit de ses acquis sociaux indéniables en terre tunisienne, continue de parler de droits spoliés. De la domination du mâle. De traitement inique. Alors que d’après les statistiques, plus de 60% de la population universitaire est désormais féminine et 30% des cadres supérieurs (médecine, enseignement..) portent une robe!
D’ailleurs, certaines de nos passionarias, amazones des temps modernes, progressistes, modernistes et démocrates à volonté, réclamant à cor et à cri l’égalité totale, n’hésitent pas à contracter des mariages traditionnels. A se conformer aux rites. Au paraître. A exiger la dot. A espionner, en bonne orientale, l’époux volage. A le saigner en cas de divorce. Même si elle jouit d’un emploi stable et bien rémunéré. Un bon exemple en somme de la résistance de la sociologie aux débordements de l’idéologie.
Nos femmes au foulard ne sont pas en reste. Islamistes, arborant fièrement les apparats de la religion, elles proclament un attachement viscéral au Code du statut personnel (CSP), louent l’héritage bourguibien et refusent la polygamie, qui est pourtant inscrite dans le texte coranique. C’est là le parangon de toutes les contradictions. Le brouillage des codes. La grande désorientation. Ah! Schizophrénie, quand tu nous tiens!
«Au risque de paraître sévère, les signes schizophréniques chez la femme tunisienne apparaissent au quotidien lorsqu’elle affiche en public, dans les lieux de loisirs et les endroits huppés de la capitale, des attitudes occidentales, faisant de la gaité et du savoir-vivre sa raison d’être. Mais au foyer, face au conjoint, c’est la crispation et le négativisme par excellence», nous dit un sociologue de renom, qui affirme les effets néfastes de l’idéologisation de la cause de la femme dans un contexte social où le débat identitaire est, depuis la Nahdha, un enjeu politique majeur parmi les différents compétiteurs de la scène arabo-musulmane.
Imededdine Boulaâba