Tunisie : La sécurité présidentielle, bien plus qu’un corps d’élite

En ce premier anniversaire de la révolution du 14 janvier, les tunisiens assistent à une mise en scène sur leurs écrans télé et ondes radio dont les héros sont principalement la garde présidentielle et la brigade anti terroriste, deux corps d’élite très proches l’un de l’autre. Les uns prétendent avoir été à l’origine du transfert constitutionnel du pouvoir, les autres d’avoir capturé les Ben Ali et les Trabelsi à l’aéroport à l’initiative de leur chef, M. Tarhouni. Seulement, il est difficile de croire que ces deux corps ont agi spontanément et en dehors de leurs prérogatives, d’autant plus que des faits incontestables viennent contredire leurs affirmations.

Commençons par le commencement. La veille du 14 janvier, le Président déchu a prononcé un discours dans lequel il admet que la crise a été mal gérée et qu’il a été induit en erreur par son entourage. Il ordonne d’arrêter de tirer sur les gens, promet de sanctionner les responsables et s’engage à promouvoir des changements profonds et des réformes qui allaient d’abord toucher l’appareil répressif.

Des faits troublants qui ne recoupent pas la version officielle

Le lendemain, dès l’aube, les maisons des Trabelsi ont commencé à bruler. Selon des témoins oculaires, ceci parait l’œuvre de spécialistes n’ayant rien à voir avec le soulèvement populaire. Un voisin d’une des maisons ayant brulé, a pu assister entièrement à la scène. Une petite voiture de location s’est arrêtée devant la maison, deux hommes en civil, bien équipés, sont entrés dans la maison en forçant la porte et en sont ressortis avec quelques mallettes à la main. Juste après, une camionnette est arrivée et a commencé à vider la maison. Puis le bruit a couru et les pilleurs se sont précipités pour prendre ce qui reste pour enfin assister à une mise à feu de la maison. Ceci s’est passé alors que la manifestation de l’Avenue Habib Bourguiba avait à peine commencé. Les maisons étaient très bien ciblées et les attaques se sont faites de manière simultanée et savamment orchestrée.

Il est donc difficile de penser que ces attaques, l’arrestation des Trabelsi à l’aéroport et la volonté de faire peur à Ben Ali et à sa famille pour le pousser au départ sont le fruit d’une simple coïncidence. Comment peut-on croire que Tarhouni ait agi seul, et sur un coup de tête ? Quelqu’un de sensé peut-il croire qu’un policier d’élite, formé à l’application des ordres et au respect de la hiérarchie, ait quitté de sa propre initiative sa caserne accompagné par sa brigade pour arrêter les familles Trabelsi et Ben Ali alors même que Ben Ali n’avait pas encore décidé de quitter le pays et sans que sa hiérarchie ne soit informée ? S’agit-il d’un héros national grâce à qui la révolution a pu avoir lieu ou d’un officier répondant à des ordres clairs et précis dans une série dont le but était autre ?

Autre fait pour le moins surprenant, le mystère de l’avion qui survolait Carthage et que personne n’a vu en dehors de la sécurité présidentielle elle-même ? Certains émettront l’hypothèse peu plausible que les services secrets de pays étrangers pourraient en être l’auteur, ou serait-ce un pur canular dans un but bien précis ; celui de faire peur à Ben Ali et de le pousser à partir sans réclamer son reste (cf. discours de la sécurité présidentielle lors d’une émission sur Watania 1(*) le 15 janvier 2012).

Autre indice : pourquoi Sik Salem, le subordonné au troisième rang de Seriati, s’est-il mis à convoquer au palais les symboles du pouvoir constitutionnel du pays (Ghannouchi, Mebazaa et Kallel) ainsi que le représentant du pouvoir militaire, le Général Ammar avant même le décollage de l’avion présidentiel et l’arrestation de Seriati, et ce, de l’aveu même de son collègue (Cf. émission télé Watania 1(*) du 15 Janvier 2012) ? D’ailleurs, nous pouvons nous interroger sur les intentions de la garde présidentielle (à noter que Sik Salem était encore en liaison avec Seriati à ce moment là) puisque si l’intention était simplement de combler le vide constitutionnel, pourquoi avoir convoqué le Général Ammar ? Etait-il judicieux de faire venir tout ce beau monde à Carthage alors que Ghannouchi aurait pu simplement lire son fameux discours depuis son bureau ?

En outre, Ben Ali avait l’habitude de voyager très souvent et il partait régulièrement se soigner à l’étranger sans prévenir personne. Fin décembre 2010, en pleine révolution, il était parti fêter la fin d’année à l’étranger et ne voulait même pas raccourcir son voyage alors que le pays était à feu et à sang. Est-ce pour autant qu’un flic de la sécurité présidentielle a pris un jour la peine d’appeler Ghannouchi pour lui proposer la présidence sur un plateau ? Sik Salem proche collaborateur de Seriati, n’exécutait-il pas une série d’ordres prémédités que sa hiérarchie avait préparé ?

Quatrième fait intéressant : Malgré les préventions du Ministre de la Défense, Ghannouchi a tout de même décidé d’entrer au palais de Carthage pour y faire son discours du 14 janvier tremblant et la larme à l’oeil. Il semble peu plausible que cet être aussi timoré, n’ayant jamais pris de décision stratégique, l’ait fait de sa propre initiative. Comment cette même personne pourrait-elle tout d’un coup, devenir le plus héroïque des hommes, en poussant les portes du palais de Carthage à un moment où Ben Ali était encore dans le ciel tunisien et le niveau de sécurité était celui d’un pays en guerre ? Ne l’aurait-il pas plutôt fait sous la contrainte de la garde présidentielle ? Cela semblerait bien plus plausible et d’ailleurs, le témoignage de Yosri Daly sur Shems FM le 12 janvier 2012 confirme bien que Ghannouchi, Mebazaa et Kallel ont été maltraités et même brutalisés à Carthage le 14 janvier.

Aussi comment expliquer que l’on ait perdu les traces des actions de ces brigades durant cette journée puisque le système d’écoutes téléphoniques du Ministère de l’Intérieur était tombé en panne justement le 14 janvier (Cf. PV d’audition de la justice militaire). Dans une période aussi critique pour le régime en place à l’époque, peut-on croire au hasard d’un tel événement ? Ou serait-ce plutôt l’œuvre de quelqu’un qui mettait en place un plan machiavélique et ne voulait rien laisser au hasard ou qui a cherché à effacer des traces trop encombrantes suite à l’exécution d’un plan ayant mal tourné.

La sécurité présidentielle, bien plus qu’un corps d’élite

La sécurité présidentielle était le corps le plus proche de Ben Ali et son lien à travers lequel il exerçait son pouvoir sur le Ministère de l’intérieur. C’est elle qui prend soin de la famille présidentielle et d’après les dires même de Seriati, c’est à travers elle que Ben Ali distribuait de l’argent liquide à ses fidèles pour continuer à le soutenir et mater la révolution quand la tension était à son comble. Le chef de la sécurité présidentielle avait en plus la mainmise directe sur tous les rouages du ministère de l’intérieur : Tous les présents aux réunions de coordinations qui se déroulaient au ministère de l’intérieur pendant la révolution confirment que les ministres de la défense et de l’intérieur étaient priés de quitter la réunion et de laisser le chef de la sécurité présidentielle seul pour coordonner avec les responsables sécuritaires du ministère de l’intérieur les différents plans d’action à entreprendre sur le terrain.

Pour preuve de son influence, on a vu la sécurité présidentielle réussir à aliéner un journal électronique français qui s’est pris à défendre leur cause en utilisant des documents officiels que même les médias tunisiens n’ont pu obtenir. Ces documents officiels ont été interprétés de manière subjective pour dessiner une vérité tronquée, voire déformée (Cf. Article Mediapart http://www.mediapart.fr/journal/international/060112/tunis-janvier-2011-manipulations-et-luttes-de-clans-provoquent-la-mort-). Par exemple, s’il y a un seul beau souvenir que les tunisiens gardent des journées difficiles qui ont suivi le départ du président déchu, c’est bien leur solidarité à défendre leurs maisons et leurs quartiers des attaques faites par des individus dont le seul but était de faire échouer la révolution et nous convaincre que seul le retour en arrière nous permettra de vivre en paix. Dans ces moments difficiles, on a oublié que la police avait déserté ses postes et que seuls les militaires étaient en place et ont volé au secours des hommes et femmes en détresse. Dans un des articles publiés par ce fameux journal électronique étranger, il est fait mention que les médias appelaient la population à se protéger dans le seul but de les manipuler et de les effrayer, alors que nous avons tous vu et vécu des scènes de terreur commises par des milices (à la solde de qui ?) savamment équipés et entrainés.

Enfin et pour résumer tout ceci, nous assistons aujourd’hui à un renversement complet de la situation où les tireurs d’élite, la brigade anti terroriste (anti islamiste doit-on plutôt écrire), la garde présidentielle, ces corps qui étaient la pierre angulaire du système corrompu de Ben Ali et qui étaient visés directement dans son discours du 13 janvier, sont en passe de devenir les héros de la nation en expliquant un peu partout qu’ils ont eux-mêmes fait la révolution pour le compte du peuple et qu’ils ont protégé le pays et l’ont remis sur le droit chemin.

La vérité ne serait-elle pas ailleurs ? La tête pensante de toutes ces manigances, celui qui continue à manipuler les médias, à influencer une bonne partie de la justice et de la police et à avoir des liens forts au sein de l’armée (après plus de 20 ans passés au sommet de la hiérarchie sécuritaire du pays, il pourrait détenir des dossiers compromettants sur une bonne partie de ces corps), ne serait-il pas l’instigateur d’un véritable complot avorté après son arrestation du 14 janvier ce qui a fait écrouler tout son plan machiavélique. Du fond de sa cellule, et à travers ses siens et ses avocats, il continue à cultiver la haine envers ceux qui l’ont empêché d’accomplir son œuvre et à manigancer des coups bas et des menaces pour obtenir sa liberté.

Tout ces faits sont réels et vérifiables. Ils vont à l’encontre des discours et autres versions que certains médias nationaux veulent nous faire croire. Pour preuve, des questions que l’on ne peut ignorer persistent encore et contredisent nettement ces versions. Une révolution plus tard, des doutes sérieux demeurent quant à la disparition du système dictatorial de Ben Ali. Le peuple s’est lassé de poser des questions pour lesquels il n’a pas eu de réponses. Les sit-in, les violences et la perturbation continue du système économique sont peut-être en partie spontanés. Cependant, l’on ne peut s’empêcher de penser qu’ils sont manipulés par des forces rétrogrades qui ne permettent pas de rompre avec le passé et d’écrire une nouvelle page.

(*) Watania 1 est la première chaine nationale tunisienne

Commentaire de Liberté à l’article Tunisie : L’affaire “Barraket Essahel” reportée au 28 février