Durant une bonne vingtaine d’années, le régime de Ben Ali et le Mouvement Ennahdha n’avaient de cesse de se rejeter mutuellement la responsabilité de l’affaire de Bab Souika survenue en 1991. Aujourd’hui, le voile en est levé à moitié.
Cheikh Abdelfattah Mourou est donc revenu, au début de ce mois sur la 1ère chaîne nationale, sur les événements du 17 février 1991 qui avaient coûté la vie à l’un des gardiens de la Cellule du RCD à Bab Souika, pour préciser que derrière cette tragédie, il y avait de jeunes gens appartenant au mouvement, non Ennahdha elle-même. A son tour, le SG du mouvement, M. Hamadi Jebali, avait, lors d’une conférence de presse tenue le 7 février 2011, déclaré qu’Ennahdha était en effet responsable de l’affaire Bab Souika, mais que c’étaient des jeunes ayant réagi de leur propre chef et en l’absence des chefs du mouvement, alors en prison ou en exil.
Une certitude, tout de même: l’intention, à l’époque, était bel et bien de dérober les listes portant l’identité de tous les partisans du mouvement en question, et, en cas d’échec, d’incendier carrément les locaux pour effacer jusqu’à la moindre trace. Il était même envisagé de rééditer le même scénario dans certains postes de police et autres bureaux du RCD. Mais le doute semble entier quant à l’intention du tueur. La présence du premier gardien, Amara Soltani, aurait surpris les assaillants qui lui auraient, pour le neutraliser, lié mains et pieds; sauf qu’on l’aurait oublié ainsi ligoté après la propagation du feu dans tout l’établissement. Bilan: un mort, et un autre gardien qui s’en était sorti avec un visage défiguré et un handicap permanent. Nous apprenons également que la fille du disparu, Leila Soltani, aurait exigé la réouverture de l’enquête afin de délimiter les responsabilités des uns et des autres.
En fait, d’autres versions de la tragédie ont été données. Que, par exemple, la victime, tout en feu, aurait dévalé les escaliers en criant au secours; que la police et, surtout, la Protection civile n’étaient intervenues que deux heures après la déclaration du feu; que …, que … Mais les faits sont là: deux hommes brûlés vifs, dont un avait succombé à ses brûlures.
Or, dans tout cela, il y a quelque chose qui sonne un peu faux. On pourrait, à la limite, comprendre que de «jeunes gens avaient réagi de leur propre chef», mais cela ne pourrait disculper le mouvement qui, lui, avait bel et bien l’intention de «retirer» les listes de ses partisans. Comment investir une Administration publique avec la volonté de dérober quelque document, sans encourir des risques? La logique veut plutôt que tout un plan ait été mis au point. Par qui?… Par de jeunes gens qui auraient pris, seuls, une telle initiative? Depuis quand un auxiliaire, un simple adepte en l’occurrence, prend des décisions à la place de ses chefs?
Si, comme le veut Leila Soltani, une deuxième enquête, en bonne et due forme, venait à être ouverte, on saurait certainement plus sur cette affaire qui reste malgré tout encore louche.
Par Mohamed Bouamoud