L’histoire du “lynx égyptien” illustre parfaitement la manière dont un simple fait divers peut se transformer en mythe collectif sous l’effet des réseaux sociaux.
À l’origine, il ne s’agissait que d’un incident animalier : un lynx caracal a été capturé après avoir attaqué un groupe de soldats israéliens stationnés près de la frontière avec l’Égypte, causant quelques blessures légères et un mouvement de panique. L’animal, une espèce rare et protégée, a été pris en charge par les autorités israéliennes de la faune pour être soigné et potentiellement relâché dans son habitat naturel.
Mais en l’espace de quelques heures, cette anecdote a été réinterprétée et largement amplifiée sur les réseaux sociaux, notamment dans le monde arabe.Le lynx est devenu un symbole de résistance, un “soldat de Dieu” ou un “héros invincible”, illustrant un désir collectif de voir émerger des figures de lutte inattendues contre l’ennemi perçu. Des récits romancés ont circulé, attribuant à l’animal une mission quasi-divine : il aurait traversé la frontière en toute conscience, infligé une leçon aux soldats israéliens avant de repartir triomphalement sur ses terres. Ce type de narration, souvent accompagné d’images retouchées et de slogans enflammés, a alimenté un engouement massif, propulsant le hashtag #الوشق_المصري en tête des tendances sur les réseaux.
Toutefois, cet emballement numérique a suscité des réactions plus critiques. Des intellectuels et journalistes ont dénoncé une forme de fuite dans l’imaginaire, reflet d’un sentiment d’impuissance face aux crises réelles. Pour eux, la fascination pour ce “lynx égyptien” traduit un besoin désespéré de miracles, où l’espérance se substitue à l’action. Certains y voient même une manipulation inconsciente : en érigeant un félin en héros national, l’opinion publique détourne son attention des enjeux réels et de la nécessité d’un engagement concret pour la cause palestinienne.
Cette affaire illustre ainsi le pouvoir des réseaux sociaux dans la construction de mythes modernes. En quelques clics, un fait divers banal devient une légende, cristallisant espoirs, frustrations et désirs de revanche symbolique. Mais derrière cette exaltation collective, elle révèle aussi un profond désarroi et impuissance face à une réalité politique et humanitaire qui, elle, ne relève en rien du domaine du mythe.