Par Tawfik BOURGOU
L’affaire de la camerounaise entrée en fraude en Tunisie et qui menaçait ouvertement le pays sur les réseaux sociaux dans des termes criminels, la prise par la force d’immigrés illégaux d’immeubles à Sfax, les images des villes tunisiennes en prise avec un fléau qui semble sans fin, l’image d’un pays englué dans une « non-stratégie », les ratés politiques de l’actuel pouvoir, notamment dans sa relation avec l’Union Européenne et avec ses voisins autour de cette question cruciale et vitale ont achevé de démolir la crédibilité économique de la Tunisie. Sin on ne prend pas garde, le pays s’effondrera.
Le réveil des tunisiens est tardif, il ressemble à la soudaine et tardive prise de conscience après la montée du djihadisme et du terrorisme. Disons-le clairement, populations et gouvernants ont joué l’avenir et la pérennité du pays dans une sorte de poker où l’on perd à court à moyen et à long terme, inévitablement.
Il a fallu une lutte de soixante-quinze-ans pour construire un Etat, gouverné pour la première fois par un tunisien de souche, fils du pays et non par des turcs ou des descendants d’esclaves européens turquifiés.
Il a fallu environ une trentaine d’années pour construire un Etat viable. Il a fallu une dizaine d’années pour construire une économie viable après l’hérésie collectiviste. Une économie qui avait une crédibilité internationale, en témoigne la loi de 1972.
Il n’a fallu que deux ans aux islamistes et à la gauche pour tout démolir entre 2011 et 2013. Il a fallu moins de dix ans pour les contrebandiers et la mafia qu’ils ont créé pour abattre l’économie et passer le ratio de l’informel vers 60% de l’activité économique. Il a fallu moins de sept ans pour faire passer le ratio des tunisiens vivant sous le seuil de pauvreté à 20% de la population.
En moins de dix ans, le pays a glissé vers l’économie grise par incapacité à maitriser la frontière avec l’Algérie et avec la Libye. Dans ce processus, les mafias locales et les contrebandiers tunisiens ont glissé vers l’importation de populations étrangères et de ce fait ont contribué directement à la démolition de l’image du pays, tout en détruisant le marché du travail au détriment de leurs concitoyens dont certains travaillaient dans l’informel aujourd’hui occupé par les illégaux subsahariens.
Ce glissement va se faire d’ailleurs au détriment des contrebandiers tunisiens qui sont supplantés par les mafias africaines, algériennes qui se sont implantés en Tunisie avec des donneurs d’ordre souvent résidents en Europe, en Libye voire aux Emirats Arabes Unies. C’est ainsi qu’on peut expliquer les photos de la camerounaise arrêtée. Elle aussi venue de la zone claire obscure de la prostitution et de l’immigration sur le modèle des « kults » nigérians qui ont investi les réseaux de la criminalité transfrontalière.
Dernière étape de ce glissement vers l’économie grise par non maitrise de la frontière l’intégration de la Tunisie dans la route des drogues dures qui fait partie intégrante des routes et des réseaux migratoires.
Le pays s’est de fait englué dans un triple fléau pour lequel ni les forces de sécurité intérieure, ni la justice, ni le territoire du pays ne sont proportionnés.
Ces trois fléaux se sont rejoints et se combinent avec une situation locale marquée par la dépendance vis-à-vis du voisinage qui joue chaque jour sur les fragilités de la Tunisie pour la vassaliser en poussant vers la Tunisie des immigrés clandestins.
La dépendance énergétique, la dépendance vis-à-vis de l’économie frontalière, largement informelle avec la Libye a amené les autorités à baisser la tête et à jouer le court terme en contrepartie du long terme, voir la pérennité du pays. Rappelons-nous que durant sa présidence Bourguiba et durant le mandat de Si Hédi Nouira la Tunisie a tout fait pour se déconnecter du chantage de son voisinage. Rappelons-nous l’attaque de Gafsa : Kadhafi a programmé, l’Algérie a facilité le passage des terroristes par son territoire.
Les méthodes ont peut-être changé, le chantage est resté intact. Différence notable ce ne sont plus des terroristes qui passent mais des immigrés africains. Dernier dossier le captage de l’eau côté algérien et son impact sur la zone frontalière. Là aussi, la Tunisie pâtit de son imprévoyance.
La non-maitrise de la frontière a démoli les relations entre la Tunisie et l’Union Européenne. Certes, les Européens et les Etats-Unis sont responsables de la mauvaise aventure qu’a connu la Tunisie. Leur appui sans vergogne et coupable à l’islam politique qu’ils combattent pourtant chez eux, la guerre en Libye, ont contribué aux malheurs actuels de la Tunis.
L’Europe et les Etats-Unis, Ponce Pilate, s’en sont lavé les mains après avoir été à la source de l’opération d’ingérence la plus immorale de l’histoire diplomatique de ces cinquante dernières années. En témoigne la destruction de l’Irak, de la Syrie, du Yémen et de la Libye, auxquels on ajoutera la situation dangereuse à très court terme de la Tunisie.
Mais ce qui vient d’Europe en ce moment est très mauvais. L’Europe veut faire de la Tunisie un « hot spot », c’est écrit, dit et défendu par des responsables européens. La Tunisie est pour eux le dépôt de sureté, même pour les immigrés qui ne viendraient pas de Tunisie. Dans ce cas, il faudra dire adieu à tout développement économique, tourisme, vie paisible, derrière des frontières sûres. Dans cette entreprise les ONG et autres association douteuses seront le fer de lance de démolition du peu qui reste.
Faut-il excuser la population dans ce qui arrive ? Absolument pas. Des tunisiens ont, sous prétexte de gagner leurs vies en jouant sur l’illicite ont non seulement démoli leur pays et très certainement hypothéqué l’avenir des prochaines générations. En s’enrôlant dans le viol de leurs propres frontières, certains ont contribué à la destruction de l’économie du pays, de sa sécurité. Pire encore en s’enrôlant dans l’économie grise des trafics, le pays sera fatalement classé dans les économies du blanchiment. A terme, au croisement de tous ces fils et de toutes ces vulnérabilités ont pourrait, à proximité de l’Europe, entrer dans une situation qui ressemble à ce qui se passe à Haïti. Cet Etat n’est qu’à quelques encablures de la Floride, mais c’est un pays paria qui ne cesse de s’effondrer.
L’économie se construit sur la confiance, la sécurité, la sureté et la transparence. Mais à la base, le socle, ce sont des frontières sures et fermées. Une séparation et une totale intolérance vis-à-vis des activités grises et criminelles. Le mélange entre l’informel, le criminel, l’illicite finira par inviter le terrorisme et les mafias internationales en Tunisie. La pauvreté fera le reste.
La recrudescence des prises de drogues dures le prouve chaque jour. Dans ce cas, combien de mois pourrait résister un système bancaire face à un enflement du cash alors que se délite l’économie licite sa source de revenu ? Pire encore, l’Europe est désormais la zone de trafic la plus attractive, les ports du Nord, ceux de l’Italie sont les pires plaques tournantes des trafics de drogues. L’Europe a décidé de leur faire la guerre.
Celles-ci se sont alors réorientées vers le Golfe de Guinée et empruntent désormais les routes migratoires qui convergent vers la route centrale : la Tunisie. Récemment, nous avons été surpris par les longues files de clandestins recevant de l’argent depuis l’étranger par le biais des banques et la poste tunisiennes. Sommes-nous certains de l’origine et de la destination des fonds ? Absolument pas. Il peut s’agir d’un financement d’implantation illégale de populations, de mafias ou de terroristes. Combien de temps avant la convergence de tous les fils vers le sécuritaire dur, le militaire et le guerrier contre la Tunisie sur son sol ? Quelques semaines, guère plus en raison de la réimplantation du Djihadisme dans l’espace sahélo saharien.
Or, la Tunisie offre le meilleur « spot » pour construire des opérations criminelles ou terroristes en raison de la porosité des frontières et du non contrôle total d’une population étrangère qui est passé sous les radars, nous sommes désormais dans le « spectre » des menaces militaires immédiates ;
A la porosité des frontières, des trafics, le travail illégal, la prostitution et les drogues dures vont générer une économie parallèle, si ce n’est déjà fait, qui sera très difficile à combattre.
La solution ? Il est déjà tard, mais sans un cadenassage immédiat des frontières, la situation serait hors contrôle. Il faut ériger les frontières en zones de guerre, quitte à se payer une crise internationale. A terme, la Tunisie sortirait vainqueur.
La Tunisie se doit pour sa sécurité, d’abroger les conventions de libre circulation des personnes et imposer un système de visas complet au moins pour une dizaine d’années. La sortie de la zone africaine de libre-échange, autre illusion collective, est nécessaire.
L’honnêteté intellectuelle doit amener n’importe quel économiste à souligner que la Tunisie, en l’état actuel des choses à plus perdre à cause de l’Afrique et de son voisinage qu’à gagner.
Subsiste le problème des nécessaires partenariats. Là aussi un minimum d’honnêteté intellectuelle nous amène à dire que rien n’a pu remplacer les anciens partenariats démolis par les islamistes d’abord et ensuite par la nonchalance, l’hubris pseudo révolutionnaire, le syndicalisme irréaliste de l’UGTT s’apparentant à un pillage, la folie anti-business qui s’est emparée des sommets de l’Etat. La Chine n’est pas là, les BRICS aussi semblent en retard comme la Russie qui a fait rêver nombre de chroniqueurs. L’Afrique ne sera jamais un partenaire crédible pour la Tunisie, c’est la mode ces derniers jours, mais ce sera un échec cuisant, comme les projets transfrontaliers avec le voisinage d’ailleurs. Ces derniers sont juste un coup médiatique à l’adresse du Maroc. La Libye a déjà déserté.
Il ne subsiste qu’une seule et unique solution pour sortir la Tunisie de cette spirale : reconstruire une frontière hermétique, reconstruire une crédibilité et un climat des affaires en frappant les mafias, les trafics, à commencer par ce qui est à gangréné la relation avec l’Europe l’immigration clandestine tunisienne et surtout subsaharienne. Cette dernière comparée aux départs de tunisiens est désormais de 1 à 10, ce que l’Union Européenne feint de ne pas voir. Les têtes de réseaux sont subsahariennes côté Tunisie et européens de l’autre, les tunisiens sont des désormais de simples tâcherons.
Là aussi un Etat qui se respecte se doit d’informer et de montrer les preuves et de monter des conférences de presse professionnelles et non des « on » et des « eux ». Nommer, mettre des noms sur les cartes, sur les photos des coupables, acteurs de cette démolition.
Sur le plan légal sans une criminalisation des actes en les érigeant en crimes contre la sécurité de l’Etat : le trafic d’êtres humains aux fins d’implanter une population étrangère, l’aide, la facilitation, l’exploitation, le financement, le logement, l’aide associative. Idem pour les trafics de drogue qui gangrènent les écoles et les quartiers : une guerre totale et sans merci, faute de quoi le moment où l’on risque d’être classés narco-Etat est très court.
Cela suppose une vraie guerre, cela suppose une armée dont la structure est inédite sans cela, le pays ne survivra pas à court terme.
Tawfik Bourgou
Politologue, spécialiste des risques criminels. Lyon, France.
Professeur bénévole à l’Ecole Supérieur de Guerre de Tunis