La cause palestinienne a toujours été chère au cœur du tunisien et la guerre acharnée que les forces sionistes mènent depuis le 7 octobre 2023 contre des civils innocents et désarmés à Gaza affecte le quotidien du Tunisien qui suit l’actualité avec une émotion incommensurable.
Submergé par un sentiment d’impuissance face au génocide commis contre la population gazaouie dans cette guerre qui a fait plus de 18 mille victimes, le tunisien fait tout ce qui est en son pouvoir pour manifester sa solidarité et sa compassion avec les palestiniens (partage sur les réseaux sociaux de vidéos et de photos illustrant les atrocités et les massacres commis par l’entité sioniste contre la population, manifestations de soutien à la Palestine, collecte d’aides…).
Les spécialistes affirment que ce qui se passe à Gaza a un impact certain sur la santé mentale des utilisateurs d’Internet (anxiété, dépression, mal de vivre…). La psychologue Clinicienne, Neuropsychologue au Service de Pédopsychiatrie, CHU Razi à La Manouba, et Présidente de la Société Tunisienne de Psychologie, Houda Benyahia, met l’accent, dans cette interview, sur l’impact de la guerre de Gaza sur le citoyen Tunisien.
Question 1 :
Les informations, les photos et vidéos de la guerre de Gaza envahissent le quotidien des personnes qui suivent l’actualité depuis le 7 octobre. Quel comportement doit-on adopter pour réduire les “dégâts psychologiques” de cette guerre ?
Réponse :
La guerre a des effets psychosociaux néfastes et affecte l’équilibre psychique de l’être humain et des groupes sociaux. Le tunisien peut rester informé en évitant l’exposition massive et prolongée aux sources médiatiques, afin de prévenir les situations de malaise ou de dégâts/atteintes psychologiques. Les précautions suivantes ne diminuent en rien notre empathie envers les victimes à Gaza, et notre soutien au peuple Palestinien. Quelques exemples :
– Le partage verbal du ressenti (parler en famille, avec les amis et les professeurs)
– Ne pas laisser les enfants seuls face aux images, les sensibiliser à diminuer l’exposition aux écrans, les accompagner dans le partage verbal des émotions
– Le dessin (pour les enfants, cela les aide à exprimer leurs émotions, comme dessiner le drapeau Palestinien, l’accrocher chez eux ou en classe)
– Limiter les temps d’information durant la journée
– Eviter les informations/images la nuit avant le sommeil ou juste au réveil
– Eviter de répéter en boucle les mêmes images
– Essayer de contrôler les émotions négatives en éteignant la source d’informations (TV, PC, téléphone portable) au tout début de la sensation de malaise
– Participer à des actions structurées, comme celles menées par le Croissant Rouge Tunisien et d’autres organisations de la Société Civile : se rendre utile à distance et ne pas rester passif, exprimer sa solidarité et son soutien…
Question 2 :
Faut-il craindre une baisse d’enthousiasme à l’égard de ce qui ce passe à Gaza ? Au fur et à mesure que le temps passe et que la guerre se prolonge, le tunisien peut-il devenir indifférent face à ce génocide ?
Réponse :
Même si les mouvements de Rue, ont diminué, la mobilisation continue au niveau des institutions de l’Etat, de la Société Civile et des Médias Tunisiens. Dans les divers milieux de vie, les tunisiens parlent et discutent entre eux des dernières informations de la guerre en Palestine, ils sont à jour de toute la situation. Ils parlent de la pression mondiale, des différents mouvements dans d’autres pays du Monde, de l’histoire de la Palestine, des anciennes attaques/guerre qui sont gravées dans la mémoire collective des tunisiens.
Et puis n’oublions pas que psychologiquement il y’a une temporalité de la guerre (chronologie), il y’a une différence entre les réactions immédiates et les réactions post- immédiates dans le vécu traumatique d’une guerre.
Chaque jour, les tunisiens espèrent que cette guerre s’arrête et que les citoyens Palestiniens vivent en paix.
Question 3:
Est ce qu’il y a un impact direct de la consommation de l’information et des images de la guerre à Gaza sur la santé mentale du Tunisien ?
Réponse :
Les informations sur la guerre en Palestine, depuis les bombardements de Gaza en octobre 2023, véhiculées par les différents types de médias (Chaînes TV, réseaux sociaux/médias électroniques) submergent les citoyens d’images et de récits/témoignages, décrivant l’ampleur des destructions et des attaques dévastatrices, de victimes de femmes et d’enfants innocents morts ou gravement blessés, sous les bombes de l’ennemi.
Les tunisiens vivent au rythme de cette guerre depuis le 7 octobre, la situation en Palestine les préoccupe à un niveau très élevé. Les images transférées et partagées sont insoutenables générant stress et anxiété. Cette situation peut impacter la santé psychique à des degrés variés, en fonction de la capacité de gestion et résistance au stress, de chaque personne.
Question 4 :
Quels sont les principaux troubles ou traumatismes directs ou indirects engendrés ?
Réponse :
L’exposition massive aux images et vidéos de guerre, peuvent avoir un impact direct négatif, déclenchant ainsi un état de tension psychique, un stress intense, une anxiété importante, pouvant évoluer vers la manifestation de signes psychiatriques (comme la dépression par exemple) chez des personnes très fragiles et vulnérables au niveau psychologique. Ce sont les états de stress post traumatiques, et dans le cas précis des Tunisiens- très impliqués dans la Cause Palestinienne, ils sont témoins indirects et impuissants de cette guerre, par le biais de l’image.
Il s’agit donc là d’état de stress post-traumatique par procuration. D’autres situations anxiogènes peuvent aussi apparaitre, comme la réactivation d’anciens psycho-traumas, liées au colonialisme, au combat et affrontements avec l’Ennemi colonisateur… En Tunisie, la mémoire de tous ces traumas est réactivée pendant et au cours de chaque attaque contre le peuple Palestinien, par sentiment d’empathie et d’appartenance.
Question 5 :
Est-ce que l’utilisation massive des réseaux sociaux pendant cette guerre, peut contribuer à approfondir le malaise et la tristesse que ressent le tunisien?
Réponse :
Le massacre perpétré sur des civils, femmes et enfants, à Gaza, de la part de l’ennemi sioniste, est un crime de génocide. La violence criminelle sanglante, véhiculée en temps réel via les réseaux sociaux au cours de cette guerre, peut contribuer à accentuer les émotions négatives de tristesse, de souffrance, d’insécurité, de tension psychique, d’impuissance et d’injustices ressenties par le Tunisien. Certaines personnes, les plus fragiles, vont probablement vivre un état de détresse psychologique, nécessitant un accompagnement psychologique et/ou psychiatrique adapté.
Question 6 :
Et pour les enfants qui regardent avec leurs parents les chaînes de télévision qui diffusent cette guerre en direct, est-ce qu’ils sont aussi sujets à ce malaise ? Est ce qu’ils sont plus vulnérables et à risque face à ces atrocités ?
Réponse :
Les enfants et les adolescents en Tunisie, comme dans d’autres pays d’ailleurs, partagent et suivent les informations avec ou sans les parents, ils en parlent à l’école, collège et lycée. Beaucoup d’entre eux ont participé à la journée de colère en signe de solidarité avec le peuple Palestinien, dans plusieurs villes et régions du pays, suite au bombardement de l’hôpital Al Ahli Baptiste à Gaza. Ils sont eux aussi sujets au malaise, et au stress véhiculé par les images de la guerre. Grâce aux capacités de réparation et de résilience, les enfants peuvent réduire les conséquences négatives face aux atrocités véhiculées par les médias.
Le rôle des parents, des enseignant est primordial dans de telles situations, ils peuvent jouer le rôle de médiateur ; plus ils véhiculeront des messages d’optimisme, plus les enfants seront moins tristes et anxieux. Les plus vulnérables, de par l’organisation de leurs personnalités, peuvent développer certains signes psychiatriques comme une peur intense, des troubles de sommeil, des sentiments d’angoisse…
Question 7 :
Est ce qu’il y a une augmentation du nombre des consultations depuis le début de cette guerre ?
Réponse :
Au service de pédopsychiatrie du CHU Razi, nous n’avons pas encore relevé d’augmentation au niveau du nombre des consultations depuis le début de la guerre ; mais nous nous attendons à un pic d’ici la fin décembre 2023, dans l’après-coup de tout ce vécu négatif et traumatisant.