Monsieur Kaïs Saïed, Président de la République tunisienne
Bejaia (Algérie), 25 août 2022
Excellence,
Notre père, Monsieur Slimane Bouhafs, s’est exilé dans votre pays en 2018, où il a obtenu le statut de réfugié auprès du Haut-Commissariat au Réfugié (HCR), car il était vraiment en danger dans notre pays, l’Algérie. Il se croyait protégé en Tunisie, bien à l’abri de tout malheur, hors de tout risque, menace ou danger, alors qu’en Algérie il était ciblé pour son activisme pacifique.
Malheureusement, il y un an exactement, le 25 août 2021, notre père a été brutalement kidnappé dans son domicile à Cité Ettahrir, Tunis. Il a été agressé par des individus en tenues civiles et a fait l’objet de graves mauvais traitements sur le sol tunisien, avant d’être transféré aux autorités algériennes en traversant la frontière illégalement, alors que les frontières étaient fermées depuis plus d’un an.
Depuis un an, il est emprisonné en Algérie en attente de procès, pour des accusations terroristes et autres accusations très graves qui n’ont aucun fondement, et il est extrêmement affaibli, physiquement comme mentalement.
Nous nous permettons de vous dire que cela fait des mois que nous attendons la réalisation de votre promesse. Le 2 septembre 2021, vous avez affirmé lors d’une rencontre avec la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme (LTDH) ne pas avoir d’informations sur ce qui était arrivé à mon père et vous vous êtes engagé à ouvrir une enquête. Depuis, aucune enquête n’a été ouverte, malgré deux plaintes déposées en août et en octobre. Les procès-verbaux des témoins auraient disparu. Nous avons fait face à un silence complet des autorités tunisiennes.
Imaginez les souffrances physiques et morales de notre père dont les droits ont été bafoués ! Il s’est senti profondément humilié et trompé ! Imaginez aussi sa grande terreur et sa solitude lors de son enlèvement et son emprisonnement en Algérie !
Imaginez les souffrances qu’il a pu endurer, alors qu’il avait déjà été victime de torture lors de sa première incarcération en Algérie en 2016. Il en est sorti avec une personnalité changée ; il a été obligé d’être sous traitement psychothérapeutique pendant des mois et il ne s’en ai jamais véritablement rétabli.
Aujourd’hui ni le HCR ni l’Etat tunisien ne prennent la peine de nous donner quelconque information pour que les vrais coupables soient retrouvés et punis. Personne n’a rien fait !
Nous ne voulons pas vous faire une longue lettre et pleurer sur ses souffrances totalement imméritées ainsi que sur son absence ressentie très douloureusement par notre famille. Nous faisons seulement appel à vous car il était sous votre protection dans votre pays. En vertu du droit international, la Tunisie doit protéger les réfugiés et de ne pas les renvoyer vers un pays où ils risquent d’être persécutés ; elle doit enquêter sur l’enlèvement, la disparition forcée, les mauvais traitements subis sur le sol tunisien, et le retour forcé de notre père.
Nous nous permettons de vous demander où en est l’enquête suite à la plainte déposée auprès du Tribunal de Première Instance le 8 octobre 2021, et également pourquoi la Tunisie n’a toujours pas répondu à la communication des Procédures Spéciales des Nations-Unies du 20 septembre 2021, qui demande seulement des éclaircissements.
Notre père a cruellement souffert, pour la seule raison qu’il a décidé de devenir chrétien et de militer pour l’égalité entre chrétiens et musulmans, entre arabes et amazigh ; aujourd’hui encore il souffre pour cela. Je peux vous affirmer que notre père n’est ni un islamophobe ni un terroriste. C’est une personne qui a énormément souffert à cause de sa conversion au christianisme et personne ne pourra jamais savoir ni comprendre ce qu’il a vraiment subi !
Nous refusons de voir notre jeune sœur grandir sans notre papa et de voir notre mère porter seule le poids de tant de souffrances.
Nous voulons que les droits de notre père soient respectés.
Nous voulons qu’une véritable enquête soit ouverte et les résultats rendus publics, qu’on sache exactement ce qui s’est passé à Tunis le 25 août 2021.
Aujourd’hui il n’est plus le même, il a besoin de retrouver sa dignité, sa santé et sa famille. Sa place n’est pas en prison, c’est en liberté en dehors de l’Algérie, pays qu’il aime pourtant tellement mais dans lequel il n’est pas en sécurité.
Nous vous écrivons à vous, Monsieur le Président, qui nous avez promis une enquête. Nous souhaitons véritablement qu’elle soit menée de manière rigoureuse et impartiale.
Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de notre plus haute considération, avec l’espoir qu’une réponse suivra rapidement.
Famille de Slimane Bouhafs.