Les professionnels des médias affichent leur inquiétude face à une crise structurelle ” sans précédent ” qui secoue le secteur, dénonçant une législation restreignant les libertés et l’indépendance de leurs établissements.
Réunis, à Tunis, dans le cadre d’une journée d’étude sur le droit d’accès à l’information, ils ont dénoncé une politique ” répressive ” contre les médias en Tunisie ainsi que des violations qui menacent, selon eux, les libertés.
Arrestations, interpellations musclées, poursuite et répression policières, restrictions aux médias…. les participants à cette journée ont pointé des ” menaces sérieuses ” sur la liberté de la presse après le 25 juillet, ce que dément, catégoriquement, la présidence de la République.
” Il n’y a aucune raison de craindre une atteinte à la liberté d’expression “, avait affirmé le président Kais Saied, à maintes reprises, en rassurant les journalistes.
Contacté par la TAP, le président du Syndicat des journalistes Tunisiens (SNJT) Mohamed Yassine Jelassi a mis en garde contre toute tentative des autorités de ” domestiquer ” les médias et les transformer en outils de propagande.
Jelassi estime que la liberté de la presse a connu un net recul, depuis le 25 juillet 2021, accusant le président de la République et la cheffe du gouvernement ” d’entraver le droit des citoyens d’accéder à l’information en refusant d’accorder des interviews et en limitant les possibilités pour les ministres et hauts fonctionnaires de s’exprimer dans les médias “.
Dans le rapport annuel de Reporters sans frontières, la Tunisie a perdu 21 places en passant du 73e au 94e rang sur un total de 180 Etats et territoires. Un recul inédit jamais observé depuis la dictature, selon le président du SNJT.
D’après lui, les professionnels du secteur sont aussi confrontés dans leur grande majorité à une précarité matérielle en raison de contrats insuffisamment protecteurs.
Evoquant la situation dans les médias publics, Jelassi a jugé ” indispensable ” de préserver la pérennité de ces établissements en mettant en place un plan de réforme permettant d’éviter leur faillite.
Pour lui, la situation dans les médias publics et dans les médias confisqués comme ” Cactus Prod ” et ” Shmes FM ” s’est dégradée après le 25 juillet 2021 en l’absence d’un plan de réforme concret.
Avis partagé par Zied Dabbar, membre de la Fédération internationale des journalistes (FIJ) qui estime que le problème des médias publics en Tunisie remonte à 2011 en l’absence d’une vraie volonté politique de réformer le secteur.
” Aujourd’hui, les médias souffrent d’une crise structurelle sans précédent “, a insisté Dabbar, rappelant qu’un accord avait été signé entre le gouvernement, le syndicat des journalistes et celui des patrons de presse en 2019 mais n’a jamais été mis en œuvre.
” Comme dans beaucoup de démocraties émergentes, les tentatives de ” domestiquer ” les médias et les transformer en outils de propagande ne sont plus à démontrer “, avertit Nabil Montassar, coordinateur du projet ” Media Act : Renforcer le rôle des médias dans la défense de l’égalité et des libertés “, un projet parrainé par le Département d’Etat américain.
Poursuites policières
De manière générale, les journalistes et photographes de presse sont souvent la cible de violences policières, notamment en marge des mouvements sociaux et des rencontres footballistiques.
Le 18 mars 2022, le correspondant de la radio Mosaïque FM, Khelifa Guesmi, a été arrêté en vertu de la loi antiterroriste. Il avait publié un article faisant état du démantèlement d’une cellule terroriste dans la région de Kairouan.
Refusant de révéler ses sources aux enquêteurs, il a été accusé d’entrave à l’enquête et placé en détention. Face à la mobilisation de la société civile, le journaliste a été relâché.
Mais pour d’autres journalistes présents à cette rencontre, l’état de la liberté d’expression en Tunisie n’est pas en alerte rouge car le président a fait appel à l’article 80, le 25 juillet 2021 au soir.
Pour eux, nombre de Tunisiens ont accueilli avec enthousiasme les mesures du Saied car ils sont exaspérés par la classe politique et attendent des actes forts contre la corruption et l’impunité dans un pays où la situation sociale et économique est difficile.