“Ils seront poursuivis, jugés et obligés de rendre des comptes !!”. C’est en termes que Chokri Belaïd, avocat et leader de gauche, s’était adressé à ses concitoyens, fin 2012, à Siliana, après “les évènements de la chevrotine” au cours desquelles des manifestations pacifiques furent durement réprimées.
Ses mots frappants, lancés à l’endroit des habitants de Siliana, sont devenus un slogan politique que brandissent les militants et partisans du Parti de patriotes démocrates unifié (Ppdu) lors de leurs sit-in périodiques devant le ministère de l’Intérieur pour réclamer la vérité sur l’assassinat de Chokri Belaïd.
Sa formule est reprise, aujourd’hui, par plusieurs activistes qui demandent la reddition des comptes et la poursuite en justice des responsables des assassinats politiques et des attaques terroristes perpétrées en Tunisie au cours de cette dernière décennie.
Pendant les manifestations de Siliana, Chokri Belaid avait été accusé par le gouvernement de la Troika en place, d’être l’instigateur de ces mouvements de contestation auxquels des milliers de personnes ont participé pour réclamer le départ du gouverneur de la région.
Depuis l’assassinat de Choki Belaïd, le 6 février 2013, cette date marque un triste anniversaire. Un anniversaire que les Tunisiens tiennent pourtant à commémorer pour perpétuer la mémoire d’un militant hors pair, intègre et courageux qui a payé de sa vie son engagement en faveur de la démocratie, des causes justes et du droit des Tunisiens à une vie digne.
Neuf ans après l’assassinat de Chokri Belaid, farouche opposant de l’islam politique, plusieurs questions taraudent encore l’esprit des Tunisiens et demeurent toujours sans réponse : Pourquoi l’a-t-on tué ? Qui a commandité le meurtre ? Qui a exécuté le crime ?
Chokri Belaid, avocat, militant de gauche et défenseur des droits humains, s’était engagé en politique depuis son jeune âge alors qu’il était encore élève sous la Tunisie de Bourguiba. A l’université, il a combattu vaillamment le despotisme et lutté pour la démocratie. Redoutable tribun, Chokri Belaid savait tenir en haleine son auditoire par les mots et par les gestes, ce qui lui a valu d’être détenu à Rejim Maatoug, dans le sud tunisien en1987.
Chokri Belaid était aussi opposant au régime de Zine El Abidine Ben Ali. Harcelé et inquiété, il a été contraint à émigrer en Irak. Rentré après quelques temps en Tunisie, il a rejoint le barreau et plaidé dans des procès politiques. Il était connu comme défenseur des plus démunis et avocat des syndicalistes et opposants au régime de Ben Ali. Combatif et tenace, Il n’a jamais hésité à prendre position pour les accusés dans les procès politiques, en témoigne son engagement aux côtés des accusés du Bassin minier en 2008.
Belaid a défendu les accusés de l’affaire des incidents de Soliman, en 2007 et celle des prisonniers salafistes, malgré son rejet total de leur idéologie et de leur projet politique.
Il a été aux premiers rangs des manifestations menées par les avocats en décembre 2010, peu avant la chute du régime de Ben Ali.
Chokri Belaïd, un tribun hors pair et un ténor du barreau tunisien
Occupant le poste de Secrétaire général du parti des patriotes démocrates unifié, Chokri Belaïd est devenu, au lendemain de la révolution, une personnalité politique très médiatisé. Les Tunisiens ont apprécié son discours clair et éloquent, son sens profond de justice sociale, son attachement aux libertés et sa parfaite connaissance de la réalité et de l’histoire de la Tunisie.
Chokri Belaïd était aussi connu pour sa verve, sa pugnacité et ses propos fortement critiques envers la politique de la Troïka au pouvoir et du mouvement Ennahdha et de ses dirigeants qu’il accuse de vouloir mettre la main sur les institutions et appareils de l’Etat, de porter atteinte aux libertés et de recourir à la violence. “Chaque fois que les islamistes se sentiront sous pression, ils vont recourir à la violence”, répétait-il souvent.
D’après de nombreux observateurs de la scène politique, l’audace de Chokri Belaïd et sa popularité montante lui ont coûté cher. Son discours qui condamne la violence et dénonce le projet de l’islam politique et des pratiques d’Ennahdha lui ont valu plusieurs menaces de mort et des appels au meurtre, lancés du haut de certains minbars des mosquées et sur les réseaux sociaux. Chokri Belaïd a été la cible de plusieurs campagnes de diabolisation mené par ses détracteurs.
Au matin du 6 février 2013, Chokri Belaïd a été abattu par balles devant son domicile. Ce crime odieux a provoqué la colère des Tunisiens, descendus par milliers dans les rues pour manifester leur indignation et réclamer des comptes aux parties politiques derrière sa mort.
Les funérailles nationales de Chokri Belaïd, le 8 février 2013, ont rassemblé des milliers de Tunisiens qui ont tenu à faire leurs adieux à une figure éminente et charismatique et à rendre hommage à un militant patriote et honnête.
Neuf ans sont passés depuis. Les membres du parti des patriotes démocrates unifié, de nombreux activistes politiques et défenseurs des droits de l’Homme ainsi que le collectif de défense des martyrs Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi continuent de réclamer de punir les commanditaires de ce crime et de poursuivre les parties politiques responsables de cet assassinat, tout en clamant haut et fort les désormais célèbres mots “”Ils seront poursuivis, jugés et obligés de rendre des comptes”.