Après plusieurs décennies de silence, Karim Abdesslam, auteur de l’attaque de Bab Souika en 1991, a accordé un témoignage historique sur les détails de cet événement.
Dans une déclaration au journal Alchourouk Online, Karim Abdesslam a déclaré que la justice transitionnelle impose que l’on dise la stricte vérité pour se réconcilier avec le passé.
Né en 1973 à Hafsia au centre-ville de Tunis, il avait en 1991 préparé l’attaque de Bab Souika où le bureau du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) avait été incendié. La première attaque avait eu lieu le 16 janvier 1991, et la seconde un mois plus tard.
Son père est décédé alors qu’il n’était âgé que de 7 ans. Il a été victime de la maltraitance de la part de la maitresse de son père qui a fini par expulser toute la famille de la maison après le décès du père.
La famille avait porté plainte auprès du poste de police pour récupérer leur maison, en présentant des documents légaux, mais les unités sécuritaires n’avaient pas donné suite. A partir de ce jour, Karim avait la haine envers toutes les personnes qui portent des uniformes.
Par la suite, Karim Abdesslam s’est réfugié dans une mosquée, il surveillait ses frères et sœurs et les accompagnait à l’école muni d’un pistolet rempli d’eau pour se protéger des menaces de la maîtresse de son père.
Il avait affirmé qu’il se réfugiait dans la mosquée où il a été recruté progressivement par les frères musulmans.
En 1987, âgé de 14 ans, il aidait les manifestants à prendre la fuite dans les ruelles de Tunis. Il était au courant des manifestations à l’avance pour apporter son aide.
Infiltration du RCD
En 1989, suite aux élections législatives, Karim était sous l’effet du choc à cause de la chute les représentants d’Ennahdha. Ce choc l’avait poussé à s’éloigner du mouvement Ennahdha pour se rapprocher des mouvements salafistes djihadistes. Quelques mois plus tard, il a été récupéré par Ennahdha dont les leaders l’avaient averti de ne pas s’emporter. Ces derniers pensaient que la victoire est proche.
En 1990, Karim Abdesslam avait rejoint les renseignements du mouvement, une section privée d’Ennahdha. Cette section lui avait demandé d’infiltrer le RCD pour qu’il soit “les yeux et les oreilles du mouvement”.
Karim Abesslam a fait partie des jeunes du RCD à Bab Souika. Il était à l’époque en 4ème année technique, a-t-il indiqué, au lycée du 9 avril. Il avait demandé au mouvement d’être sa cible, alors qu’il organisait des événements pour le RCD, afin de prouver sa loyauté.
Activité de la section privée du mouvement
Karim Abdesslam a confirmé que la section privée se basait sur le recrutement des hauts cadres de l’Etat travaillant dans les appareils sécuritaires et militaires. Ils ont ensuite infiltré les organisations et les associations.
Il a affirmé que les opérations d’infiltrations ont été une réussite au point que les infiltrés sont devenus des personnalités de pouvoir au sein du RCD.
Abdesslam s’est retrouvé membre d’un appareil secret dirigé par les destouriens, de la génération de l’indépendance, comme Azzouz Rebai. L’objectif de cet appareil est de récupérer le parti des mains des gauchistes.
En 1991, Ennahdha avait décidé de dissoudre ses structures pour travailler en secret loin de la surveillance des unités sécuritaires. Des cellules, composées de 5 individus, travaillaient en secret et collaboraient avec les dirigeants à travers un seul individu.
Les arrestations ont épuisé Ennahdha. Karim Abdesslam a été contacté par un membre pour entrainer les frères au combat. Etant membre infiltré du RCD, il avait refusé mais la situation imposait son intervention pour entrainer les frères en dehors du centre ville de Tunis.
Karim Abdesslam a fini par accepter. Il entrainait les membres d’Ennahdha la nuit et rencontrait les membres du RCD le matin pour discuter des dangers des frères musulmans.
La même année et suite aux multiples arrestations, les cellules ont été autorisées à donner des suggestions et de passer à l’exécution après l’accord des dirigeants.
Le pays a été secoué par plusieurs manifestations. Les véhicules des unités sécuritaires et les postes de police ont été la cible des protestataires. Pendant quatre mois, les manifestations se poursuivaient. Tous les individus des cellules avaient le droit de présenter des idées pour des opérations sans connaître les grandes lignes de ces opérations.
Les leaders du mouvement avaient donné l’autorisation aux membres d’attaquer les individus connu pour être les informateurs.
Incendie au bureau du RCD à la Medina
Âgé de 17 ans, Karim Abdesslam avait présenté deux propositions : attaquer le bureau du RCD à la Medina, vu la symbolique de ce bâtiment, ou attaquer le bureau du RCD à Bab Souika.
Après la présentation de ces propositions, Abdesslam n’avait reçu aucune réponse. Le 16 janvier 1991, il a été décidé d’appliquer la deuxième proposition de Karim Abdesslam.
Quatre personnes se sont faufilées, dont Karim Abdesslam lui-même, à l’intérieur du bureau du RCD. Ces individus ont fermé la porte de l’extérieur et ont volé les cachets, en cas de besoin, puis ont mis le feu et ont pris la fuite.
Le lendemain de l’incendie, Karim Abdesslam s’est rendu au bureau du RCD et et remarqué la peur et le stress auprès des membres du RCD qui parlaient d’une opération de commandos.
Opération Bab Souika
L’opération de Bab Souika est répartie en deux propositions. La première consiste à préparer une manifestation devant le bureau pour l’incendier. Cependant, Karim Abdesslam avait refusé cette proposition. Quant à la deuxième, les membres devaient faire irruption au bureau la nuit.
Le plan a été mis en exécution. Le 17 février 1991 à 4h45 du matin, les attaquants se sont divisés en deux groupes, le premier groupe portait un brassard vert pour sécuriser les personnes qui entrent à l’intérieur du bureau. Le deuxième groupe, porte un brassard rouge, se charge d’incendier les lieux.
L’opération ne devait durer que trois minutes (deux minutes d’exécution et la fuite) avant l’arrivée des unités sécuritaires du poste à côté. L’opération a eu lieu lors de l’horaire des changements des équipes de nuit. Les auteurs de cette attaque ont même pensé à couper l’électricité pour empêcher la propagation du feu dans les maisons voisines.
Karim Abdesslam était chargé de surveiller les membres de la milice qui mettaient le feu au bureau. Il avait rencontré Mustapha Hussein, un responsable de la cellule, un trentenaire qui travaille comme ingénieur à la poste. Ce dernier avait demandé à Abdesslam d’annuler l’attaque étant donné qu’il était l’auteur de l’idée.
Lors de l’exécution du plan, Abdesslam a aperçu un homme, le gardien du bureau, qui hurlait alors que les flammes consumaient son corps. Les attaquants et les gardiens fuyaient, c’est alors qu’Abdesslam s’était rendu compte que l’exécution avait dépassé le plan. Il ne pensait qu’à la chute du régime pour la victoire de son vrai parti.
Sur les lieux de l’attaque Karim Abdesslam apprend le décès de Amara Soltani, un ancien membre du parti qui participait à la protection des lieux.
Une heure plus tard, les leaders du RCD s’étaient rendu sur les lieux. Il y avait Azouz Rebai et Behi Ladgham. Azouz Rebai avait félicité Abdesslam pour sa bravoure.
Abdesslam a rencontré par la suite Mustapha Hussein qui avait été dépité de savoir que l’attaque avait fait une victime.
De retour au siège du RCD, Abdesslam a aperçu le secrétaire général de l’époque Abderrahim Zouari qui avait donné consigne de tout repeindre rapidement pour organiser une réunion au sein du même bureau.
Trois membres de l’attaque, dont Mustapha Hussein, ont été arrêté. La cellule a été découverte et il avait appris qu’un certain “Abdelkarim” serait impliqué dans ces attaques. Il a donc décidé d’opter pour l’anonymat et de se réfugier à l’aide de connaissance à Sfax.
Durant cette période, Abdesslam a appris la décision de Abdelfattah Mourou, Fadhel Baldi et Ben Aissa Damni de geler leur adhésion suite à l’attaque de Bab Souika.
Abdesslam était étonné de constater la connaissance des faits des leaders du mouvement qui ont décidé de se laver les mains après l’exécution de l’opération.
Il a appris, alors qu’il était caché, qu’il a été condamné à perpétuité. Quant à ses complices arrêtés, Mohamed Fathi Zribi, Mohamed Hedi Naghraoui et Mustapha Hussein, ont été condamné à mort par pendaison.
En septembre 1991, Karim Abdesslam se fait arrêter à Sfax, là il s’était réfugié.
Suite à son arrestation, il a été torturé pour avoir incendié le bureau du RCD. Il a été condamné à 14 ans de prison parce qu’il était mineur lors des faits.