Nous sommes le 6 février.
C’est une date qu’il nous est impossible d’oublier. Elle a marqué au sang l’histoire d’une Tunisie libérée mais pas encore libre.
C’est la date de la commémoration du premier attentat politique après la révolution de 2011.
C’est le jour où un certain 6 Février 2013 , le politicien de gauche Chokri Belaid a été abattu de sang froid au bas de son immeuble en pleine rue grouillante et en plein matin.
Chaque année depuis 8 ans , jour pour jour, nous continuons à le célèbrer sur l’avenue Habib Bourguiba .
Aujourd’hui encore la foule était au rendez- vous .
Pacifique et plus belle que jamais.
Des jeunes et des moins jeunes.
Des parents avec leurs enfants qu’ils tiennent par le main.
Des femmes, plein de femmes . Toujours nos femmes tunisiennes. La Tunisie résiste encore grâce à ses femmes.
Des personnalités publiques.
Des visages plus ou moins connus tous avec masqués à cause du Corona
Des ONG des toutes sortes.
Des associations qui se réclament de la lutte contre la violence policière et la torture qui viennent dénoncer un récent violent inquisitoire dans un poste de police sur un jeune qui qu’il soit , lui a coûté la perte d’un testicule dans une hémorragie et une séance de torture sans précédent .
Des représentants LGBT avec leurs banderoles revendiquant leur droit à l’existence et non aux représailles par ce test anal de la honte.
Des manifestants contre la loi 52 qui a emporté la plus belle de notre jeunesse pour avoir roulé un joint et qui vient de faire récemment incarcérer trois petits jeunes avec un verdict de 30 ans.
30 ans pour une fumette en lieu public, un ancienl stade désaffecté, abandonné sans avoir terroriser ni population ni tuer personne.
Le président même de l’association pour la légalisation du cannabis donnant une interview à une caméra télé étrangère probablement parce que les locales n’aiment pas trop se mouiller dans cela.
Des femmes toujours des femmes.
Des enfants avec leurs parents.
Des drapeaux et des pancartes .
Des masques avec l’effigie de Chokri, notre martyr adulé.
Seulement, la rue n’est plus au peuple.
Devant cette vague de gens qui est venue manifester pacifiquement l’impunité du martyr jusqu’à ce jour mais également le système policier qui revient au galop pour nous violenter et nous baillonner des blindés noirs sont affrétés comme jamais auparavant.
Des barricades métalliques et encore des barricades barrant toutes les ruelles qui mènent à notre belle avenue.
Encore des blindés et des voitures de police .
Des motards et une muraille d’agents de l’ordre en noir coude à coude dans un déploiement féroce comme du jamais vu.
Ils bloquent comme un seul homme tous les accès à l’avenue principale.
Nous sommes désemparés en colère mais plus résolus que jamais pour avancer vers elle et nous y réunir pour scander notre résolution de résister , ne jamais lâcher ni baisser les bras.
Dix ans depuis la révolution et pourtant nous sommes presque au même stade voire pire.
Plus pauvres et plus meurtris que jamais par des procès jamais résolus, des droits jamais atteints,des libertés toujours aussi menacées et surtout une révolution défigurée et confisquée par une manne de politiciens et de gouvernements encore plus minables les uns que les autres. Ils ont permis au terrorisme de sévir et aux terroristes de jouir de l’impunité.
Un parlement caduque et fallacieux qui a failli à son rôle essentiel de représenter le peuple et de servir la nation.
Des politiciens qui se servent avec des appétits d’ogres dans la chaire d’un pays qu’ils ont appauvri chaque jour un peu plus. Ils l’ont poussé par leur nullité et amateurisme, leur gros ventre et leurs égos démesurés à la banqueroute et la faillite.
Aujourd’hui, nous sommes descendus décidés pour leur crier haut et fort notre dégoût général et notre ras le bol total.
Un bouclier noir de policiers en noir prêts à utiliser la force voire à en abuser.
Comme prêts à sortir leurs crocs pour nous dissuader .
Mais rien au monde ne peut faire reculer un peuple déterminé parce qu’il a été plus qu’abusé pendant plus de dix ans.
On peut composer avec tout sauf avec la colère de la foule.
Nous nous sommes dans un silence connivent à nous emparer de notre avenue et comme dans un seul mouvement, nous avançons .
Des pourparlers plus ou moins tendus avec les policiers pour nous laisser passer.
Un député du parlement est présent avec nous.
Nous le sommons d’intervenir . Il s’engage de notre côté.
Les policiers commencent à céder d’un cran.
Les ordres ont du être instantanément repensés vu l’ampleur de la foule et la colère qui gronde à nos pieds.
Des reporters internationaux.
Des journalistes prennent d’assaut la moindre altércation. Ils immortalisent en photos la foule à main nue d’un côté dans un véritable corps corps avec un contraste musclé de policiers fortement équipés et bien barricadés.
Des téléphones portables traquent chaque vibration d’un air tendu comme jamais.
L’air de la liberté manque .
Celui d’une dictature galopante veut faire loi.
Seulement, nos gouverneurs particulièrement le chef du gouvernement actuel a l’air de ne pas comprendre. Il n’a pas encore saisi que le peuple libéré depuis la révolution a pris goût à sa liberté.
Pour rien au monde, il n’est prêt à la sacrifier.
Ni peur ni terreur, la rue est au peuple.
Le bras de fer commence à se faire ébranler du côté des flics. Ils commencent à nous laisser passer par petits groupes de quatre après avoir fouillé nos sacs et les sacs à dos.
Nous nous plions aux relâchement réglementé et nous nous laissons fouiller mais nous avançons fermement vers l’avenue .
Nous sommes sur la plus belle avenue de tout le pays. Un gros noyau dur de manifestants roule un tambour et une trompette. Nous le rejoignons.
Nous nous sentons forts comme si nous nous connaissions tous.
Il nous semble nous reconnaître .
Presque les mêmes d’un certain quatorze janvier. Juste vieillis de dix ans mais tous les mêmes avec les mêmes rêves toujours aussi neufs sans dégonfler ni lâcher d’un iota.
Nous sommes exaltés , revigorés comme par un sang neuf.
Nous appelons à la vérité sur l’attentat de Chokri.
Nous appelons à la dignité et la liberté .
Nous appelons à dégager ce gouvernement gouverneurs pourri et dévoré par les mites.
“Houkouma klaha essousse, dégage.
Nous appelons à dégager les politiciens rigoristes et les kwenjyas.
Nous appelons et nos voix montent au ciel pour couvrir les flics qui nous empêchent en bloc en casques noirs et équipement de pointe d’avancer dans le sens du ministère de l’intérieur emblème de la répression .
Nous avançons en groupe uni vers le théâtre municipal rempart incontournable de notre résistance depuis 2011 avec ses marches d’exception où nous nous déployons pour scander encore et encore , applaudir comme par une seule main unie et une seule voix.
Des slogans anti- chef du gouvernement qui riment entre juron et sarcasme le défiant dans ses propres mots quand ils s’était adressé comme d’habitude aux jeunes manifestants antérieurement dans un communiqué toujours aussi raté et borné les traitant de casseurs dans la nuit.
“Ya Michichi ya Tahane hana jinek finhar”
“Michichi le cocu voilà ,nous sommes venus dans le jour”.
Des slogans toujours les mêmes pour dire non à la Nahdha responsables de nos maux , de tous nos maux depuis la révolution et qu’elle est au pouvoir.
De la flambée des prix, de la misère du peuple de plus en plus appauvri, de la crise sanitaire de plus en plus catastrophique, de la jeunesse désabusée qui se meurt en voulant fuir le pays clandestinement par la mer ou en se laissant endoctriner par les terroristes en bombes humaines tueuses.
Des slogans anti-répression policière avec le fameux “t3alem 3oum ” à l’encontre des policiers qui avait laissé mourir le jeune Omar Labidi de même pas 20 ans , un dimanche au retour d’un match des ultras et supporters qui avait dégénéré, voilà il ya déjà 3 ans.
Les policiers l’avaient pourchassé comme dans une battue jusqu’à l’oued de Rades la ville sportive où il s’y était jeté , lui qui ne savait pas nager . Ils lui ont par la suite tourné les talons pour dire ” t3alem 3oum”. Apprends à nager selon des témoins .
Nous attendons encore et comme toujours la justice et la vérité.
Un drone vombre sur nos têtes pour nous prendre en photos et épingler les manifestants par la suite un à un chez eux.
Ni vu ni connu.
Toujours le même système policier de l’ancien système qui veut revenir au galop.
Nous réunir à l’avenue Habib Bourguiba défiant tout même en temps de Covid 19 est le symbole même de la résistance contre ce même système .
Aucune autre place n’aurait la même symbolique.
Le drone joue de ses tours tantôt à gauche tantôt à droite, se rapproche et s’éloigne pour revenir comme un terrible petit joujou.
Une seconde de silence plus longue qu’une vie entière.
Brusquement, la folle se retourne en un seul mouvement comme un seul corps .
Le nôtre .
Nous levons la tête au ciel à visage masqué Corona exige et à plein poumon, nous chantons l’hymne national à faire trembler la terre entière.
Et puis revient ce slogan éternel, fort de rage et de douleur comme si on venait d’enterrer Chokri notre premier Martyr politique:
“Hay Chokri Mazel Hay.” Vivant Chokri est encore vivant.
Comme pour dire à ses ravisseurs politiques qu’en tuant Chokri, ils ont permis à des milliers de Chokri de se décupler.
Ni peur ni terreur, la rue est au peuple”…
Le drone n’existe plus à nos yeux, le déploiement musclé et blindé des policiers non plus.
Nous avons enfin récupéré la rue.
Nos poumons gonflent dans nos têtes enflammées des mêmes rêves de liberté pour dégager les fossoyeurs de notre révolution.
Certains ont atteint notre fameux café “l’Univers.”
Point de chute de tous ces jeunes et ces vieux de la gauche communiste grillant cigarettes et cafés.
Un bel après-midi où sans violence aucune, nous avons récupéré notre avenue fidèles au rendez-vous plus décider à jamais à ne pas leur céder notre pays.