Ecologie : Quelque 400 chênes zéen séculaires abbatus, qui en est responsable ?

Originaires de la zone enclavée d’Ain Sellam, agglomération localisée à l’est du village de Ben Metir (Kroumirie, nord ouest), une dizaine de voyous oisifs ont mis à profit, ces derniers jours, le confinement total et l’absence de gardiennage forestier, pour prendre, d’abord, une cuite en pleine forêt et pour s’adonner, ensuite, à un exercice crapuleux, celui d’abattre, à la tronçonneuse et à la hache, pas moins de 400 arbres forestiers, des chênes zéen séculaires.

Leur objectif est bassement pécunier. Il s’agit d’en tirer de l’argent pour acheter de l’alcool en vendant le bois noble des arbres abattus au prix de 200 dinars le stère de bois destiné soit au chauffage, soit à sa transformation traditionnelle en charbon.

Alertées par une source locale, des ONG écologiques et la société civile de la région de Jendouba se sont mobilisées pour informer à leur tour les autorités administratives officielles (gouverneur, garde nationale…) lesquelles sont intervenues pour arrêter deux personnes actuellement en détention provisoire à la prison du Kef en attendant leur procès.

Une chose est sûre, quelle que soit la sanction qui sera infligée à ces voyous criminels, elle ne sera jamais proportionnelle à l’ampleur des dégâts écologiques occasionnés par leur forfait.

Les techniciens du milieu forestier, qui connaissent bien la fragilité de l’écosystème, craignent particulièrement le déboisement non étudié car il l’expose le sol à l’érosion et aux glissements de terrains.

Avec la complicité du ministère de l’Agriculture ?

Par-delà ce massacre qui dit long sur la difficile coexistence entre l’homme et la forêt en Kroumirie, il faut reconnaître que l’abattage sauvage des arbres forestiers a été plus ou moins toléré par l’administration centrale, depuis le soulèvement du 14 janvier 2011.

Ainsi, au temps de la Troïka, les gardes forestiers, qui ont été remplacés par des personnes acquises à la secte Ennahdha au pouvoir à l’époque, ont fermé l’œil sur des pratiques de déforestation scandaleuses sous prétexte, entre autres qu’à travers les coupeurs d’arbres, les contrevenants voulaient construire à leur place des mosquées.

Les techniciens agricoles qui ont fait, à l’époque, des rapports sur ces infractions sévèrement sanctionnées par la loi ont été soit ignorés, soit marginalisés, soit écartés, tant « l’homogénéité de l’espèce » était vivement recommandée.

Mieux, avec l’équipe du gouvernement Youssef Chahed, Samir Taïeb, son ministre de l’Agriculture, issu pourtant d’un parti de gauche (El Massar) en principe farouche partisan de l’écologie, s’est permis, au mois d’août 2019, d’accorder, sans concertation avec des techniciens forestiers locaux et régionaux, à un concessionnaire privé pistonné l’autorisation pour abattre, sur deux ans, 200 hectares de pin pignons dans la localité d’Oued Helal (Sud ouest du village d’Ain Draham).

C’est l’Union régionale du travail (URT) de Jendouba qui avait donné l’alerte et remis aux médias une copie de l’autorisation signée par Samir Taieb. Face à ces preuves hyper-médiatisées, le ministre avait fait marche arrière et annulé l’autorisation.

Plaidoyer pour la création d’un office des forêts indépendant

Pour revenir à l’abattage des 400 chênes zéen, on s’étonne que le Commissariat régional au développement agricole de Jendouba n’ait publié aucun communiqué sur cette affaire en dépit de sa gravité.

Le ministère s’est contenté de publier un communiqué général et insipide mettant en garde tous ceux qui s’aventureraient à exploiter le confinement sanitaire pour violer la loi et abattre clandestinement des arbres forestiers.

L’actuel ministre de l’Agriculture, Oussama Khériji, technocrate conservateur proche d’Ennahdha, serait-il à son tour tolérant vis-à-vis de ces pratiques de déforestation ? Pour prouver le contraire, son département doit au moins les condamner haut et fort.

L’idéal pour dissuader ce déboisement sauvage serait de créer, comme le revendiquent depuis des années les techniciens forestiers, un Office des forêts, une structure autonome financièrement et surtout indépendante du ministère de l’Agriculture.