Les avis des parlementaires ont divergé concernant la volonté de l’exécutif de recourir à l’article 70 de la Constitution pour hâter et faciliter l’application des mesures gouvernementales exceptionnelles visant à lutter contre la pandémie du Covid-19.
Le chef du gouvernement, Elyes Fakhfakh, avait annoncé lors de son adresse aux Tunisiens samedi dernier, son intention de demander au pouvoir législatif, des prérogatives lui permettant de promulguer des décrets et des lois pour faire face aux répercussions économique et financière de la propagation du virus.
A cet effet, si le bloc démocratique ne voit aucun inconvénient de déléguer à Elyes Fakhfakh la prérogative de promulguer des décrets pour faire face à une situation exceptionnelle et gérer la crise sanitaire avec l’efficacité et la rapidité escomptées, le groupe parlementaire “Qalb Tounes” exige du chef du gouvernement de donner plus d’éclaircissements sur ladite prérogative et d’adresser une demande officielle à l’Assemblée des Représentants du Peuple à cet effet.
Pour sa part, le mouvement Ennahdha estime qu’il y a une incohérence à recourir simultanément aux articles 70 et 80 de la Constitution, surtout au regard du décret émis par le président de la République relatif à l’interdiction de la circulation et les rassemblements de plus de 3 personnes dans les voies et places publiques.
L’article 70 de la Constitution dans son paragraphe 2, stipule que l’Assemblée des représentants du peuple peut, a? la majorité des trois cinquièmes de ses membres, en vertu d’une loi et pour un motif détermine?, déléguer au chef du gouvernement, pour une durée déterminée qui ne dépasse pas les deux mois, le pouvoir de prendre des de?crets-lois dans le domaine de la loi, lesquels seront soumis a? l’approbation de l’Assemblée a? la fin de la période en question.
Quant à l’article 80 de la Constitution il stipule qu’ ” en cas de péril imminent menaçant les institutions de la nation et la sécurité et l’indépendance du pays et entravant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, le président de la République peut prendre les mesures nécessitées par cette situation exceptionnelle, après consultation du chef du gouvernement et du président de l’Assemblée des représentants du peuple et après en avoir informé le président de la Cour constitutionnelle. Il annonce les mesures dans une déclaration au peuple. Durant toute cette période, l’Assemblée des représentants du peuple est considérée en état de réunion permanente “.
Concernant l’activation de l’article 70 de la Constitution, le député du Courant démocrate et président du bloc démocratique, Hichem Ajbouni, a indiqué que le bloc, avec ses composantes politiques, n’a pas d’objection à déléguer au chef du gouvernement le pouvoir de prendre des décrets-lois pour une période de deux mois.
” La délégation du pouvoir n’est pas un putsch, mais elle est bien cité dans le texte de la Constitution en cas de péril imminent. L’activation de l’article 70 et la délégation du pouvoir par le parlement au chef du gouvernement pour une période de deux mois s’inscrit dans le cadre de la lutte contre la pandémie du Covid-19 et permettra plus d’efficacité et de rapidité dans la prise de décisions “, a estimé Ajbouni.
De son côté, le président du bloc “Qalb Tounes”, Oussema Khlifi, a assuré que les députés de son groupe seront aux premières lignes avec le gouvernement et le peuple pour lutter contre la crise provoquée par la pandémie, soulignant toutefois qu’ils attendent d’Elyes Fakhfakh plus d’éclaircissements au sujet de la délégation du pouvoir.
A cet effet, le bloc de “Qalb Tounes” exige, également, du chef du gouvernement d’adresser une demande officielle au Parlement concernant l’activation de l’article 70 de la Constitution pour interagir avec les motifs de cette demande.
” Les députés de Qalb Tounes s’attachent au principe du travail collectif et à la préservation des institutions de l’Etat et de la démocratie “, a-t-il déclaré. Et d’ajouter que ” le Covid-19 ne doit pas avoir raison de la société et de l’Etat “.
Le député et porte-parole d’Ennahdha, Imed Khemiri, a estimé qu’il était incohérent d’activer les articles 70 et 80 de la Constitution de manière simultanée.
” Le président de la République s’est appuyé, dans les mesures qu’il a décrétées, sur l’article 80, lequel, oblige l’institution législative à rester en état de réunion permanente, alors que l’article 70 du moment qu’il stipule la délégation du pouvoir au chef du gouvernement contraint le parlement à suspendre sa mission pour une période n’excédant pas les deux mois ” a-t-il relevé.
Khemiri a fait savoir que le parlement n’a pas reçu jusqu’à ce jour une demande officielle claire de la part du chef du gouvernement à ce sujet comme le prévoie le texte de la Constitution.
” Le bureau de l’ARP examinera aujourd’hui cette question et prendra position vis-à-vis des problèmes auxquels fait face le pays de manière générale “, a indiqué Imed Khemiri, assurant que l’institution législative continuera à assurer son rôle et ses devoirs législatifs relatifs aux efforts consentis pour lutter contre le Covid-19.
Le constitutionnaliste Amin Mahfoudh a mis l’accent sur le fait que le président de la République n’a pas mentionné dans son discours du 20 mars qu’il s’appuyait sur l’article 80 de la Constitution pour décréter les mesures relatives à la prévention contre la propagation du Covid-19.
” Après consultation du décret présidentiel publié dans le JORT, il s’avère clair que le président de la République s’est appuyé sur l’article 80 de la Constitution, ce qui de fait annule le recours à l’article 70 ” a-t-il fait observer.