Pour sa première apparition en Tunisie dans le cadre de la 55ème édition du Festival International de Hammamet (FIH), les 2 et 3 août 2019, l’artiste libanais aux multiples facettes Zied Rahabani a joué à guichet fermé au Théâtre de plein air de Hammamet.
Face à un public hétéroclite, l’artiste engagé s’est donné à l’exercice périlleux de satisfaire ses fans tout en essayant de séduire un nouveau public, peu connaisseur de son univers mélancolique alliant humour noir et jazz oriental.
C’est avec sa chanson ” Qu’est-ce que c’est que cette époque ? ” (Chou Hal Lyam !) tirée de son album ” Ana mouch kafer ” (1985) que Zied a tenu à appeler son nouveau spectacle annonçant ainsi la couleur d’un récital délibérément engagé et politique en interaction avec les maux dont souffre la société arabe aujourd’hui.
Accompagné par ses musiciens et du chanteur et luthiste égyptien Hazem Chaheene, Zied Rahabani a proposé une sélection de ses chansons interprétées par lui-même ou par feu Joseph Saker (1942-1997) à l’exemple de ” Ecoute Rida “, ” Bima Annou ” ” Talfan Ayache ” ou encore ” Ana mouche Kafer ” et ” Chou Hal Lyam “.
En plus des chansons, le jazzman auteur-compositeur a joué plusieurs de ses compositions à l’instar de ” houdou nesbi ” (relativement calme), ” Mays al reem ” et des extraits de son album ” Abu Ali “.
Ainsi de son répertoire, l’artiste libanais n’a choisi que les chansons à caractère politique et social ainsi que les mélodies mélancoliques pour mieux coller à la thématique de son récital et son message: ” Qu’est-ce que cette époque ? ” de Zied Rahabani s’écoute comme une interpellation du public arabe sur sa situation politique et sociale actuelle : les guerres, la corruption, la dictature et la misère sociale.
Dans ce spectacle, l’artiste hanté par les problèmes et les douleurs de la société contemporaine arabe a choisi délibérément d’omettre les voix féminines et les chansons romantiques à l’instar de ” Bla wala chy “, ” Mouche farka maay ” de son récital.
Entre applaudissement et mécontentement, la réaction du public lors de la première soirée a été mitigée alliant entre l’incompréhension pour ceux qui s’attendaient à un récital avec une majorité de chansons et le manque d’interaction de l’artiste.
Peu connaisseur du répertoire de Zied Rahabani et de la nature de ses concerts où le compositeur chante rarement ses chansons et s’occupe essentiellement de diriger son orchestre, de jouer du piano et d’accompagner les interprètes, une partie du public a exprimé son mécontentement de la réaction de Zied peu interactif avec son public, lors de la soirée du vendredi.
Se montrant plus compréhensif et à l’écoute de son public, l’artiste, adepte de l’école basée sur la parole profonde et le renouvellement musical, a été plus cool lors de la soirée de samedi face à un public enthousiaste et plus averti à l’univers jazzy du compositeur.
Une fois de plus, l’artiste et légende Zied Rahabani a souligné qu’il s’agissait d’une exception dans le monde de la musique et du plaisir, et a convaincu un public désireux de goûter à la bonne musique. Selon un pianiste présent, “pour ceux qui connaissent Zied Rahabani, ils s’attendaient à un vrai régal musical”.
Et d’expliquer “le problème c’est que la majorité fait toujours le lien entre Zied et Feyrouz en tant que fils aîné de l’icone libanaise et d’Assi Rahabani et oublient Zied l’artiste atypique”.
Outre son charisme naturel marqué par une nervosité permanente et une effervescence spirituelle et poétique, la particularité de Zied Rahabani est d’avoir réussi, dans la deuxième soirée, à trouver la bonne combinaison entre le classique et l’échelle pentatonique de la musique arabe, refusant de s’inscrire dans la nouvelle vague de show-biz qui fait fi de toutes les valeurs musicales et culturelles.
L’artiste égyptien Hazem Shaheen, qui accompagnait Ziad Rahabani, rappelle à son retour Sayed Darwish et Sheikh Imam et a participé à l’interprétation de chansons qui attendaient le public et résonnaient avec tout le plaisir et l’extase.
Entre les figures convoquées (Riadh Sakr, son compagnon de route) et celle omniprésente de sa mère Feyrouz, Ziad Rahabani tissait des liens qui, sans lui, seraient restés insoupçonnables ; le monde prenait soudain une échelle plus humaine, les distances s’effaçaient et le temps devenait malléable.
On était loin des concerts galvaudés, des effusions de nostalgie et des phénomènes de mode.
Sérieux et taciturne, tantôt au piano, tantôt aux claviers électroniques, Ziad Rahabani était tout à sa musique et les spectateurs, nombreux, lui en étaient gré.