” Proposé par la présidence de la République, le premier draft du projet de loi sur l’état d’urgence doit être révisé pour mieux définir et délimiter les prérogatives du pouvoir exécutif “, ont estimé, vendredi, les participants à une journée d’étude parlementaire sur le projet de loi sur l’état d’urgence.
Présente à cette journée d’étude organisée au Bardo à l’initiative de l’Académie parlementaire, la constitutionnaliste, Salsabil Kelibi a dit craindre l’adoption d’une loi sur l’état d’urgence avant l’instauration de la Cour constitutionnelle qui, a-t-elle dit, représente la seule institution autorisée à statuer sur la constitutionnalité des lois et leur conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de 2014.
” La Cour constitutionnelle veille aussi au respect par l’Exécutif des dispositions de la Constitution et à la protection des droits et libertés “, a-t-elle ajouté.
Selon Kelibi, ” les circonstances exceptionnelles imposent des règles exceptionnelles “.
” Ces circonstances exceptionnelles ont souvent conduit à la transgression des règles fondamentales de la Constitution, que ce soit dans les cas prévus par l’article 80 de la Constitution ou en vertu de l’état d’urgence “, a-t-elle souligné.
” Ainsi, le rôle de la Cour constitutionnelle semble être important pour éviter tout dérapage et empêcher que l’exceptionnel devienne la règle “, a-t-elle ajouté.
A ce propos, elle s’est déclarée inquiète de l’absence d’une institution capable d’imposer la sortie de l’état d’urgence. ” C’est une situation très dangereuse “, a-t-elle prévenu.
D’après Salsabil Kelibi, le projet de loi proposé au Parlement n’est pas très différent du décret n°1978-50 réglementant l’état d’urgence, dans la mesure où il a attribué toutes les prérogatives à la présidence de la République et au pouvoir exécutif et écarté l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP).
” Le rapport soumis au Parlement sur l’Etat d’urgence est juste à titre informatif. Il ne lui permet de prendre aucune décision “, a-t-elle précisé.
Selon le représentant du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme en Tunisie, Wissem Ben Yatou, la loi régissant l’état d’urgence n’est compatible ni avec le texte de la Constitution de 2014 ni avec les engagements internationaux de la Tunisie.
L’instauration d’un état d’urgence de six mois avec la possibilité d’une prolongation de trois mois, est totalement opposée aux standards internationaux en vigueur qui, bien qu’ils n’envisagent pas un délai bien défini, imposent la sortie de l’état d’urgence dans les plus brefs délais ” a-t-il ajouté.
D’après lui, le projet de loi devrait réviser le rôle du pouvoir judiciaire, notamment celui du ministère public, ainsi que le rôle du parlement qui devrait bénéficier de prérogatives plus larges en matière de contrôle, particulièrement des motifs de la déclaration de l’état d’urgence.
Aux yeux de l’amiral Kamel Akrout, conseiller militaire auprès de la Présidence de la République et représentant de la partie initiatrice, le projet de loi proposé ne porte pas atteinte aux libertés garanties par la Constitution et prévoit de nombreuses garanties judiciaires et législatives.
” Contrairement à l’avis de certains, ce projet de loi n’est pas contraire au texte de la Constitution. Il a été élaboré pour s’adapter à la nouvelle Constitution “, a-t-il ajouté.
La Commission parlementaire des droits, des libertés et des relations extérieures avait entamé à la mi-janvier l’examen de l’initiative législative présentée par la Présidence de la République concernant l’organisation de l’état d’urgence.
La Commission a auditionné la partie initiatrice ainsi que les représentants du ministère de l’Intérieur qui ont défendu le projet de loi.
La commission a également auditionné des représentants de l’Association des Magistrats tunisiens et de la société civile qui ont critiqué le projet de loi, estimant qu’il n’était pas très différent du décret en vigueur. Ils avaient également proposé de limiter les prérogatives de l’Exécutif en cas d’état d’urgence et d’imposer le respect les droits de l’Homme et les libertés publiques.