Pour les Tunisiens, le principal acquis réalisé en Tunisie après 2011, est incontestablement la liberté d’expression.
Si certains estiment qu’en matière de liberté, beaucoup de Tunisiens sont tombés dans la démesure et considèrent que la priorité doit d’abord être accordée aux réformes socioéconomiques et à la sécurité, pour une meilleure qualité de vie, d’autres, au contraire se disent convaincus que la liberté d’expression est la base solide sur laquelle tout se construit.
” je ne chuchote plus au téléphone, je ne suis plus obligée de changer d’itinéraire pour éviter les signes des célébrations du 7 novembre…exaspérée par la vue des banderoles et des drapeaux du parti unique suspendus aux réverbères et établissements publics.
Fadhila, professeur universitaire qui préfère parler d’espoir et de réalisations ne nie pas toutefois, l’existence de difficultés qui sont, selon elle, à l’origine de deux faiblesses.
La première est perceptible au niveau du discours politique. ” Nous avons besoin d’un discours didactique “.
Pour rassurer les Tunisiens, les politiques doivent montrer qu’au dessus des nuages le ciel est toujours bleu, a-t-elle-suggéré avec entrain se disant, rassurée que ses deux enfants refusent, malgré tout, de quitter le pays. Car estime-t-elle, les Tunisiens doivent cesser d’être aussi revendicatifs.
La deuxième faille consiste en le manque de patriotisme de la bourgeoisie qui n’a pas su jouer le rôle qui est le sien dans un contexte de révolution.
Ferdaous technologue, se réjouit des mesures prises en faveur de cette catégorie d’enseignants. ” C’était une aubaine pour nous tant sur le plan matériel que moral “.
Et d’expliquer, ” Nous sommes désormais représentés dans les conseils scientifiques et nous avons le droit au vote comme le reste du corps enseignant “.
Mais Ferdaous regrette l’époque où elle pouvait sortir le soir en toute confiance et prendre un taxi ou un moyen de transport en commun.
Pour Maha, directrice en ressources humaines dans une société d’audit, c’est grâce à ses nombreux déplacements à l’étranger qu’elle a pu comparer entre la Tunisie d’avant 2011 et celle d’aujourd’hui.
La liberté a changé le climat de travail et impacté sur les relations professionnelles, estime-t-elle.
Le respect de la hiérarchie dans les pays que j’ai visités est observé de la manière la plus stricte et la plus rigide.
Heureusement qu’en Tunisie nous avons compris que la hiérarchie ne signifie plus l’absence de dialogue et de communication entre le personnel de l’entreprise. Aujourd’hui l’ambiance est bon enfant et l’employé semble moins frustré qu’avant.
Maha note également que la situation de la main-d’œuvre tunisienne travaillant dans les sociétés off-shore s’est nettement améliorée.
” Nous somme très proches des standards européens, à la faveur des accords négociés avec les syndicats “.
Souvent dans les pays qui abritent les sociétés off shore, les droits des ouvriers sont bafoués.
Ces derniers sont réduits à une nouvelle forme d’esclavage et n’osent pas relever la tête sous le poids de la menace d’être remplacé ou de voir l’entreprise fermer ses portes.
Il est vrai que plusieurs entreprises étrangères, lasses des grèves répétées et des revendications ouvrières ont quitté le pays après 2011. Aujourd’hui certaines usines sont de retour, plus que jamais convaincues de la qualité ” sans égal ” de la main-d’œuvre tunisienne, pour proposer de meilleurs arrangements.
Habib, inspecteur de travail, estime que la liberté d’expression est incontestablement l’acquis de taille réalisé depuis 2011. Cette liberté n’est pas responsable de la dégradation de la situation socioéconomique et sécuritaire dans le pays comme le suggèrent certaines personnes.
” La liberté d’expression ne doit pas être banalisée. Elle doit rester une ligne rouge et personnellement je resterai optimiste tant que la liberté d’expression est protégée et assurée “.
Mais, poursuit-il, dommage que nos élites n’aient pas utilisé à bon escient les libertés politiques. A en juger par la qualité du discours politique resté infertile ne répondant aucunement aux attentes populaires.
Habib s’interroge, dans la foulée, sur l’utilité des syndicats des forces porteuses d’armes.
Sadok, professeur universitaire définit la liberté d’expression comme la base solide sur laquelle tout se construit il pense que la révolution de 2011 a restitué les droits longtemps confisqués des Tunisiens.
Et il se dit optimiste mais pas dans le court terme.
Car, la fracture sociale, la crise de représentativité, l’amateurisme de la classe politique et les difficultés économiques et sociales sont autant de défis qui mettent la Tunisie post révolution à rude épreuve et risquent même de menacer cette liberté.
Les Tunisiens doivent se mettre à l’évidence que la liberté d’expression est très fragile et qu’il faut rester vigilant pour la défendre et la rendre irréversible.
Peut être, aurions nous besoin d’un nouveau mouvement social ou autre… peut importe la forme qu’il prendra, pour rectifier le processus, se demandant jusqu’ou le citoyen pourrait-il résister.
Fonctionnaire dans une direction régionale aux affaires sociales, Basma retient surtout la régularisation de la situation des travailleurs en sous-traitance, en particulier, ceux mobilisés dans les hôpitaux.
Elle déplore, cependant, les dérives observées au quotidien et dans tous les aspects de la vie.
” La Tunisie aurait été un expérience exemplaire si les Tunisiens avaient compris l’importance du travail “, a-t-elle regretté.
La fonctionnaire a relevé, sur un ton de satisfaction que face aux grèves et mouvements sociaux, l’administration est restée debout et assuré la continuité de l’Etat.
Elle n’a pas toutefois caché son inquiétude face à la dégradation de la valeur du dinar tunisien et l’Etat d’incertitude qui plane sur le secteur de l’enseignement et par là, sur l’avenir des jeunes générations.
Après 2011, Adel a surtout retrouvé sa confiance en la Justice et en les élections.
Il regrette, cependant un quasi absence de la culture du travail chez la jeunesse.
” Ils se plaignent du chômage et quand vous leur tendez la main il déclinent sans raison apparente votre offre. Ils ne sont doués que pour les critiques malveillantes au lieu de produire des alternatives”, a relevé ce père de famille sexagénaire, entrepreneur de profession.
Et d’ajouter, l’air un peu révolté ” tout le monde veut travailler dans une administration. C’est une zone de confort que nos jeunes ne semblent pas encore prêts à quitter pour créer leur propres projets “, a-t-il fait observer regrettant la faible culture entrepreneuriale des jeunes.
Oussama, étudiant, évoque avec beaucoup d’humour le sens de la dérision qui s’est aiguisé chez le Tunisien après 2011. En effet, a-t-il relevé, la liberté d’expression a donné libre cours à la créativité du Tunisien.
On sait maintenant, grâce à la révolution, que le Tunisien tourne en dérision un vécu difficile, voire parfois dramatique pour soulager ses maux. ” Nous avons pu surmonter plusieurs difficultés grâce justement à ce sens de l’humour ” a-t-il dit en riant.