Le droit à la vérité et le droit de mémoire sur les atrocités de la guerre civile au Liban refont souvent surface dans les œuvres cinématographiques certes dans des approches différentes mais qui convergent toutefois vers cette volonté de lever le voile sur le passé.
C’est au sujet de cette question que s’articule le film “”Erased Ascent of the Invisible”, un documentaire en noir et blanc du Libanais Ghassane Halwani. Réalisateur, il est aussi un animateur spécialiste de la BD ayant à son actif un court métrage en 2005. Pour sa première participation aux Journées Cinématographiques de Carthage JCC, ce jeune réalisateur et scénariste présente son film en compétition officielle de cette édition 2018.
Après Ziad Doueiri et sa fiction “The Insult”, sur la réconciliation jamais close entre les diverses confessions et sensibilités partisanes, ce thème douloureux de la guerre civile revient cette année aux JCC dans une toute autre approche documentaire qui fouille dans le passé des disparus dans les fosses communes de Beirut.
Durant 76 minutes, Halwani fait sa propre enquête sur le sort des libanais perdus durant la guerre, il y a près de 40 ans. Le réalisateur tient à dire que “le film est venu comme une nécessité pour un citoyen qui travaille depuis longtemps sur la constitution d’archives au sujet du dossier des disparus en fouillant dans les anciennes archives et les témoignages les familles”.
Son constat repose sur la reconstruction du Liban et les bâtiments les plus prestigieux du pays fondés à Beirut sur des fosses communes où les gens travaillent, se baladent, dansent et vivent dans l’oubli du passé. Une réalité qui provoque la haine des défenseurs des droits humains prenant la défense des victimes et du droit de leurs familles encore en vie face à un discours politique insoucieux de voir classer ces affaires dans les rayons de l’oubli.
Sa discrétion et ses apparitions rares donnent une nouvelle dimension à l’écriture cinématographique documentaire. Un style narratif imbibé de bandes dessinées et faits écrits sur écran qui habillent la reconstitution du passé. Un show visuel de ces personnages dans les milliers de photos pour lesquels il donne une nouvelle vie.
La question des perdus au Liban a toujours été une préoccupation pour le réalisateur. Le film,produit en 2017, démarre sur un plan fixe autour d’une photo d’un crime de guerre sur un coin des quartiers de Beirut et ses banlieues, lieu des principaux conflits.
Pour le réalisateur, ce plan d’arrêt assez long sur l’image est “un choix éditorial” pour donner au spectateur le temps de s’imprégner dans le film. Le silence général sur la vérité traduit en quelque sorte ce silence aveugle qui plane sur la plupart des séquences. Tout est réduit au silence quasi total mis à part quelques discussions. Pour Halwani, “Ceci était aussi l’écho de choix des images…Dans le film, j’étais conscient que je ne voulais pas produire des images mais je trouve qu’on baigne dans le bruit de l’image “.
Les innombrables images qui rythment notre vie ont fait que le réalisateur avait choisi d’éviter de produire des images. Il a essayé d’utiliser un langage visuel à travers l’utilisation d’images existantes sur la question des disparus déjà, dans une sorte de confrontation entre sa perception et ces images.
La singularité du documentaire est dans cette démarche de retour vers un passé dont il tient à soulever les points d’ombre. En se basant sur les outils d’investigation et d’enquête assez spécifiques, il creuse dans le détail de chaque élément pour déceler la vérité et rendre justice à la mémoire des perdus oubliés ou écartés par le système.
En l’absence d’une réponse officielle satisfaisante, la version des faits demeure pour lui incomplète voire même inexacte ce qui porte préjudice au passé de ces perdus dont la plupart sont des pères de familles, dont la perte est une lourde blessure qui torture leurs proches restés sans nouvelles.
Le documentaire est un travail de mémoire qui repose sur des faits, des preuves et des arguments qui contredisent la version officielle. Son leitmotiv est de lever le voile sur cette volonté délibérée à effacer les traces des crimes du passé. Le réalisateur a fait un travail de longue haleine qui le menait vers chaque coin de Beirut, en creusant dans de vieilles affiches, inscriptions de noms et photos des disparus pour enfin reconstituer le puzzle.